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sokaiya : la face cachée du monde des affaires japonais

Les liens entre le monde des affaires et le crime organisé semblent très ténus au Japon vu d'Europe. Notre regard est certes déformé et nous oublions que dans nos sociétés les deux mondes se côtoient énormément comme le rappelle le rôle par l'argent des mafias dans le renflouement de l'économie américaine aux lendemains de la crise des subprimes. Il est vrai néanmoins qu'une chose est unique au Japon : c'est le caractère public des yakusas et la définition d'un périmètre quasi légal où leur action est tolérée sans intervention de la police. C'est dans ce cadre que ces groupes pratiquent le sokaiya, une forme d'extorsion de fonds brillante exploitant les failles du capitalisme.

Le rançonnage des grandes entreprises par les yakusas. est une pratique très lucrative et classique. Les mafias commencent habituellement par débusquer toutes les affaires embarrassantes des grands groupes : fraudes fiscales, contravention aux règlements de sécurité, pollution volontaire, affaire de moeurs, corruptions de fonctionnaires... avant de se faire payer pour garder le silence. Tout ceci dans l'ombre par la seule force de la menace. Ceci pourtant ne suffit pas toujours pour faire plier les groupes. Les yakusas vont donc utiliser les sokaiyas. Le sokaiya dans sa traduction littérale désigne "l'homme des assemblées d'actionnaires". Dans le monde des yakusas, il se comprend comme "rançonneurs financiers" ou "trafiquants d'assemblées générales". En achetant des actions des sociétés visées, les mafias peuvent non seulement s'intéresser de plus près aux activités des firmes mais surtout obtenir un droit de participer aux assemblées d'actionnaires. Leurs hommes de main peuvent ainsi s'y rendre, menacer de révéler les secrets des dirigeants et leur faire perdre la face devant leurs employés. Les actions peuvent aussi être plus violentes : incendies, émeutes voire même assassinat de cadres. Dans la plupart des cas, la peur du scandales suffit pour voir les entreprises cédées. Et jusqu'aux années 1970, les sokaiyas allaient visiter régulièrement, parfois plusieurs fois par semaine les grandes firmes pour percevoir leur dû. En 1999, une étude indique que les firmes japonaise versaient en moyenne 2000 dollars par an. L'une des plus grandes banques du pays distribuaient par exemple deux fois par an 2000 enveloppes contenant de 20 à 15 000 dollars. Les plus grands sokaiyas, les experts ont empoché plusieurs dizaines de millions de dollars.

 Et si la mode des maître chanteurs faisant la queue devant les sièges des entreprises a disparu suite à des mesures policières répressives, la manne ne s'est pas tarie. Pour plus de discrétion, ils ont inventé des stratagèmes pour continuer à toucher leurs émoluments. Par exemple, ces sokaiyas  ont créé des clubs auxquels les sociétés devaient faire des donations ; organiser des tournois de golf à des tarifs exorbitants par exemple. Ils se mirent aussi à créer de faux instituts de recherches économiques. Le plus célèbre fut celui d'Eji Shimazaki dont le fonctionnement fut démasqué par une enquête policière : en menaçant de semer la zizanie lors des réunions d'actionnaires en menaçant de publier des articles fustigeant le bilan, les stratégies commerciales, il reçut des prêts sans garantie de près de 63 banques pour 3 millions de dollars. Autre tactique payante, la création de petits périodiques recueillant les abonnements de généreux lecteurs en échange de quoi les histoires gênantes restent cachées. En effet des articles à scandales étaient envoyés aux entreprises avant leur impression. Elles étaient alors contraintes pour empêcher les fuites d'acheter tous les tirages au prix fort. En résulte une plus grande impunité des sokaiyas et une publicité accrue !! Ils n'hésitent pas, non seulement à s'afficher, mais à répondre à des enquêtes de journalistes qui chaque année publient un livre répertoriant en 1997 pas moins de 650 sokaiyas, avec leur adresse, leur numéro de téléphone, les firmes rackettées et les gans de yakusas auxquels ils sont rattachés. 

Cette prospérité ne peut s'expliquer que par la complicité active des entreprises. En effet si les sokaiyas ont pu si facilement s'introduire dans les rouages économiques c'est parce que les entreprises les ont laissés rentrer. D'abord parce ces hommes de l'ombre ont été très utiles pour étouffer les scandales dont le plus célèbre fut celui de Minamata. Les sokaiyas employés par la firme Chisso jouèrent les gros bras lors des assemblées générales pour contenir les contestataires/victimes de la pollution au mercure. Ensuite les entreprises utilisèrent des sokaiyas contre d'autres sokaiyas trop gourmands ou trop violents. De même certains dirigeants n'hésitèrent pas à les employer contre leurs propres concurrents !!! Sans oublier la complicité des hommes politiques voire de policiers. La société japonais exècre plus que tout la confrontation publique et les révélations. Cette absence de transparence et un sens très japonais de la responsabilité ont rendu les entreprises très vulnérables et les sokaiyas prospèrent tant que la ligne jaune n'est pas franchie : racket violent, crimes publiques, plainte d'entreprises étrangères.

L'avenir de ces groupes est encore radieux malgré une durcissement de la loi. L'éclatement de la bulle immobilière a soudain révélé au grand jour ce cancer qui a rongé l'économie de l'archipel et précipité sa chute. En 1997, les peines et amendes encourues par les sokaiyas furent alourdies, les associations de yakusas et les sociétés écran sont désormais rangées parmi les activités de gangs. En 1998, la loi autorisait la surveillance électronique dans le cadre de la lutte anti-mafia. Cependant un an plus tard, une fusillade visait la maison du président de la Japan Air Lines tandis que le Yamaguchi-Gumi, le plus grand syndicat du crime de l'archipel achetait un million d'actions de cette même compagnie en devenant ainsi le second plus gros actionnaire...

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