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l'incident Shimoyama et la purge rouge au Japon

Dépouille de Shimoyama
C'est un des paradoxes du Japon de l'Après-Guerre. Malgré l'occupation américaine et le contexte de guerre froide, un fort parti communiste s'est développé. En effet la constitution libérale, installée par Mac Arthur, autorise ce parti fondé en 1922 à participer légalement aux élections. L'année 1949 marque ainsi un tournant dans la vie politique japonaise : les communistes remportent 35 sièges à la Diète soit 10 % des voix. Ce succès va inquiéter les forces d'occupation et les élites économiques dans un contexte asiatique troublé par le succès de Mao. C'est dans ce cadre qu'une série de faits divers liés au monde du rail va secouer le pays et conduire à une mise au pas du parti communiste nippon.


L'été 1949 est marqué par trois incidents qui vont secouer le pays. Le plus dramatique et le plus troublant se situe le 5 juillet. Sadanori Shimoyama, ancien fonctionnaire du ministère des transports et premier président de la société japonaise des chemins de fer (JNR) quitte son domicile vers 8h 20 pour se rendre à son bureau. En chemin il fait un détour par la banque Chiyoda avant d'aller dans le magasin Mitsukoshi, une grande enseigne. Il est 9H 20, son chauffeur ne le reverra plus. Son corps est retrouvé le lendemain à 0H 30 le long de la ligne de chemin de fer la ligne Joban entre la gare Kita-Senju et station Ayase. L'aspect de la dépouille montre très vite que le président est mort suite à la collision avec un train de marchandises. L'enquête rapide parvient à reconstituer son itinéraire depuis le magasin jusqu'à la collision fatale : de nombreux témoins l'ont vu à bord d'un train de la ligne ginza, puis dans un ryokan puis marcher le long des voies ferrées de ligne Tobu Isesaki. L'enquête des médecins légistes confirme que les blessures mortelles ont été causées par un train mais rien ne permet d'accréditer soit l'hypothèse du suicide soit d'un meurtre déguisé en suicide.  Mais un élément va contribuer à rendre l'hypothèse criminel populaire : le 4 juillet Shimoyama en application du plan Dodge, avait décidé de coupes drastiques en dressant une liste de 30 000 employés à licencier dont beaucoup de syndicalistes ou de partisans de la gauche.


déraillement de Matsukawa
10 jours plus tard, le 15 juillet survient l'accident de Mitaka, le déraillement d'un train de passagers causant la mort de 6 d'entre eux et en blessant une vingtaine. Un mois plus tard, un autre train déraille entre Kanayagawa et Matsukawa tuant trois membres d'équipage. Sinistre répétition de l'accident de mukden qui 15 ans plus tôt avait justifié l'invasion japonaise de la Chine du Nord. L'enquête découvre que les lignes ont été sabotées et le syndicat de gauche des cheminots ainsi que la parti communiste japonais sont accusés. Le gouvernement inculpe dix personnes du sabotage de train de Mikata dont  le conducteur du train, Keisuke Takeuchi, qui n'était pourtant pas dans le train quand il a déraillé. Mais en 1955 la justice conclut sur l'absence de preuve de complot et seul le conducteur est jugé responsable de l'accident et condamné à mort (il mourra en 1967 en prison) malgré le fait qu'il était dans un bain public pendant les faits (mais il a refusé qu'un de ses collègues vienne témoigner en ce sens!!)! 20 autres personnes proches du parti communiste japonais et du même syndicat sont accusées de l'accident de Matsukawa. 17 sont condamnées puis innocentées en appel en 1953. Des faits troublants ont été oubliés par la police comme l'absence des 4 policiers de la garde de Mikata le jour du déraillement. La ressemblance avec les complot de l'armée du Kwantung est étonnante mais logique quand on sait que de nombreux militaires et des membres de yakusas proches des cercles fascistes ont été recyclés après guerre.

Déraillement de Mitaka
Si la justice n'a pas validé les thèse complotistes, en revanche le gouvernement japonais se sert de ces trois incidents pour mener une purge rouge.  Des licenciements massifs frappent les  membres du Parti communiste japonais et des syndicalistes dans les  administrations et entreprises privées. L'année suivante, la vague de licenciements  a touché tous les secteurs d'activité au Japon, éjectant près de 40 000 travailleurs « subversifs » de leurs lieux de travail. Patronat, gouvernement et forces d'occupation s'efforcent de faire du Japon une digue anti communiste en empêchant les communistes locaux de profiter du contexte de "révolution mondiale" et des mouvements populaires. Les incidents apparaissent donc comme une manifestation de la stratégie de la tension qui sera employée à une échelle plus forte et violente en Grèce ou en Italie. Pourtant cette vague de purges n'entamera que faiblement le parti communiste japonais. C'est le miracle économique qui l'affaiblira beaucoup plus même si grâce à des dirigeants clairvoyants qui prendront leur distance avec le Maoïsme et Staline, le parti gardera étonnement son assise électorale et résistera même à la chute de l'URSS.

Episodes troubles de l'histoire récente du Japon, la mort de Shimoyama demeure un mystère qui a fait le bonheur des écrivains de fiction japonais. Notons  la série Billy Bat de Urasawa revient sur ce drame dans le volume 1 développant l'hypothèse d'un complot CIA-Mafias.
Shimoyama

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