Le crépuscule des samouraïs
Sortie en 2006, Hana yori mo naho est la première incursion du talentueux Kore Eda dans le film de samouraï. Sans se départir de ses thèmes fétiches, le réalisateur offre une relecture iconoclaste du mythe du samouraï.
Une fausse nostalgie
1702. Le Japon vit une période de profond changement. La paix régnant
depuis plusieurs années remet en question le statut des samouraïs dont
la fonction principale est de combattre. Dans ce contexte, Sozaemon,
timide et maladroit, est chargé de retrouver l’assassin de son père pour
sauver l’honneur de sa famille. Il débarque ainsi de sa province et
atterrit dans les bas-fonds de la capitale. Pauvre, naïf et
désespérément mauvais dans l’art du combat, il a du mal à mener à bien
sa mission…
A première vue, et c'est là tout le talent de Kore-Eda le film se place dans un univers connu à mi-chemin entre Kurosawa et les 47 ronins. Les samouraïs semblent fatigués, les lames émoussées mais résiste encore l'attachement au code d'honneur. Ce taudis d'Edo rappelle le village des 7 samouraïs qui sera le théâtre de la renaissance des guerriers. L'histoire de vengeance fait écho à celle des ronins. Kore-Eda va même plus loin dans le mimétisme car il superpose à la quête de Sozaemon celle de 47 Rônins, réfugiés dans le taudis et fomentant leur vengeance envers le samouraï Kira Yoshinaka, ancien maître des cérémonies de la maison du Shogun Tokugawa Tsunayoshi.
Samouraï : figure anachronique d'un Japon nouveau
Mais une fois ce tableau dessiné Kore-Eda entreprend de "démolir" le mythe sacro saint du samouraï vivant pour la vengeance. Son film est une admirable parodie. La vanité, le devoir, les codes sont détournés. Loin de glorifier le sens de la vengeance, Kore Eda en montre toute l'absurdité en multipliant les gags sur les samouraïs. Les jeunes garçons qui reprennent les mimiques des samouraïs sont prêts à en venir au main pour une simple bousculade. Ou encore le ronin qui manque le rendez-vous avec sa vengeance à cause d'une zori mal attachée. Ou encore ces acteurs jouant la scène de la vengeance. Car tout est théâtre et Kore-Eda achève ici d'enterrer le romantisme suicidaire du passé, thème usé jusqu'à la corde et dont la mécanique tourne à vide.
C'est que le film permet à Kore-Eda de filmer une Japon en plein changement. La paix est revenue, les joutes, les duels sont passés de mode. Le port des armes est strictement limité. Le samouraï est confronté à des préoccupations plus terre à terre : payer son loyer, trouver à manger. La société a changé et dans ce quartier ces samouraïs en quête de vengeance sont devenus une attraction. Ainsi les habitants du quartier développent, injure suprême, tout un commerce autour de la vengeance des ronins !!! Le samouraï guerrier se mue en fonctionnaire. Tout le symbole de la dualité qui habite Sozaemon entre son désir de verser le sang et son désir d'enseigner l'écriture aux enfants déshérités. Le film d'ailleurs résonne de thèmes très contemporains. En plaçant l'action dans un bidonville d'Edo, difficile de ne pas voir le reflet de la situation actuelle avec les SDF et laissés pour compte de la décennies perdue occupant les parcs de la ville de Tokyo.
Ce film reprend enfin les thèmes chers au réalisateur. La filiation et l'héritage père-fils est au centre de la thématique. Sozaemon, élevé sous l’autorité
d’un père héritier d’une tradition dont le but existentiel est une digne
mort sacrificielle au combat, se trouve désemparé face à ses
changements. Manquant de courage et de talent, il s'interroge sur ce liens paternel. Qu'est ce qui prime : verser le sang ou transmettre l'héritage de l'écriture et du jeu de go. Ainsi sa relation avec le fils de veuve devient sa véritable raison de vivre. Et comme un miroir cette nouvelle vie reflète celle de celui qu'il devrait tuer (incarné par l'excellent Tasanobu Asano), devenu un père de famille rangé. Ce sont les enfants qui achèvent d'enterrer ce devoir de vengeance aussi vain que démodé. A noter comme dans toutes les oeuvres de Kore-Eda, le jeu d'acteurs impeccable en particulier des enfants.
Hana est une petite douceur que le cinéma japonais sait si souvent produire. Optimiste, drôle, sensible, intelligent, Hana est la version "de l'autre côté du miroir" des 47 Ronins.
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