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1938 : les inondations volontaires du fleuve Jaune

Qui veut gouverner la Chine doit contrôler ses fleuves déclare un proverbe chinois. La maîtrise du fleuve Jaune et du Yangzi  a été une lutte séculaire menée par les paysans et les gouvernements chinois depuis l'Antiquité. Les inondations catastrophiques au Centre et au Sud de la Chine ont été une menace aussi forte que les invasions nomades. Les pouvoirs ont multiplié les digues, levées de terre, barrages et imposé une surveillance accrue des intempéries. Alors le choix du gouvernement de Chiang Kai Chek de détruire les digues contrôlant le Fleuve Jaune, d'engendrer le plus grand désastre écologique du XXè siècle mérite une analyse détaillée. 


Cette stratégie du désespoir n'est pas une première dans l'histoire. En 1672 la Hollande ouvre ses digues et inonde le plat pays pour arrêter l'invasion des armées de Louis XIV. En 1938, c'est l'invasion japonaise qui oblige Chiang à cette extrémité. Au Sud les armées nippones ont pris Shanghai et foncent vers Wuhan. Au Nord depuis Pékin, d'autres troupes marchent  vers le centre en s'emparant de Kaifeng,  Zhengzhou et menacent  Xi'an. L'armée chinoise malgré l'aide prodiguée par des conseillers militaires occidentaux (allemands notamment) et d'importantes commandes de matériels s'effondre. Chiang perd confiance en ses troupes et n'a plus qu'une hâte : freiner l'avance des Japonais. Comme pour l'incendie de Changsha, il prend une décision terrible sous le coup de la peur d'un effondrement total. Sur les conseils du général Chen Guofu, il décide d'ouvrir les digues enserrant le fleuve Jaune les  5 et 7 juin à Huayuankou, sur la rive Sud entraînant l'inondation des provinces en amont du Henan, Anhui et Jiangsu.  
Militairement les bénéfices de ce choix sont minces. Certes l'avancée des Japonais vers Xi'an est stoppée mais Wuhan est prise. Les troupes japonaises étaient trop éloignées pour être touchées par ses inondations. Dans les trois provinces touchées, elles avaient déjà conquis les principales villes et voies ferrées.  Seules les campagnes sont du fait de la montée des eaux, mises hors de portée des Japonais et deviendront des foyers de guérilla anti-japonaises mais communistes. Ce choix d'inonder est d'autant plus étrange que Tchang Kai Chek lui-même avait opté dès 1937 et la perte de Shanghai ,pour une stratégie recul vers l'intérieur des terres pour y attirer et épuiser les Japonais. Une stratégie qui s'est révélée au fil de la guerre payante car malgré leurs succès les Japonais n'ont jamais pu contrôler plus que les provinces côtières et les grands villes. Le centre de la Chine leur a largement échappé. 

réfugiés pris en charge par les troupes japonaises
Humainement c'est un désastre. Les estimations du nombre de victimes sont difficiles du fait du départ avant la catastrophe de tous les fonctionnaires. En outre la guerre entre japonais, communistes et nationalistes rend le comptage des noyés secondaire. La propagande nationaliste après avoir accusé l'aviation japonaise d'avoir provoqué la rupture des digues prétendit que 12 millions de civils périrent. Chiffre exagéré, la fourchette s'établit entre 500 000-800 000 morts et au moins 1 million de sans abris. Les conséquences sur long terme sont encore plus dramatiques : les zones inondées sont plus ou moins abandonnées et toutes les récoltes sont détruites. Après le retrait des eaux, la plupart des terres restaient incultivables car les sols étaient couverts de limon et la destruction des canaux laissait les populations à la merci des crues suivantes. Pour la population rurale, les années à venir furent dures marquées par les pénuries aggravées par la guerre. 
 
Les survivants démunis accusèrent d'abord les Japonais puis les Nationalistes d'être les auteurs du désastre. Ces zones inondées devinrent dès lors de grandes régions de recrutement pour les communistes qui utilisèrent la colère locale pour amener les survivants à leur cause et un haut lieu de la guérilla connu sous le nom de « zone de Yuwansu ». 

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