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L'incident du Mayaguez : la dernière bataille de la guerre du Vietnam

L'affaire est peu connue. Et pourtant elle engendra une opération amphibie/aérienne de grande ampleur qui fut le dernier engagement américain dans la guerre du Vietnam. Depuis les accords de Paris de 1973, les Etats-Unis ont retiré leurs troupes du Vietnam et progressivement limité leur soutien à de la logistique et de l'appui aérien. C'est que Nixon appelle la vietnamisation du conflit. Ce long désengagement amène dans la région à un abandon programmé des bases de Thaïlande, accéléré après la chute de Saigon le 30 avril 1975. Or si la situation au Vietnam devient plus clair, l'état voisin du Cambodge sombre dans une guerre civile accentuée par l'intervention américaine de 1972 qui profite au mouvement maoïste des khmers rouges.  Ceux-ci s'emparent de Phnom Penh le 17 avril 1975 mettant fin au régime du roi Sihanouk. Extrémistes, ils font provoquer les Etats-Unis.

Le 12 mai 1975 des vedettes khmers rouges attaquent le porte conteneur américain SS Mayagüez qui naviguait dans des eaux internationales mais revendiquées par les khmers rouges. 39 hommes d'équipage sont capturés mais ils ont eu le temps d'envoyer un message de détresse capté par les forces navales américaines qui observent les khmers rouges remorquer le navire vers l'île de Koh Tang. Le président Ford dénonça l'opération comme de la piraterie et ordonna la libération des prisonniers. Une première vague de chasseurs américains se dirigèrent le porte conteneur  coulant 5 vedettes khmers rouges espérant empêcher son remorquage. L'attaque obligea les khmers rouges à modifier leur plan : ils chargèrent les otages sur deux navires de pêche tandis que la navire continuait sa route.

N'ayant pas de relations diplomatiques officielles avec le nouveau gouvernement cambodgien, les Etats-Unis ne purent entamer des négociations secrètes ni être informés que leurs premières attaques avaient fortement impressionnées leurs adversaires. En effet les marins prisonniers chargés sur les navires de pêche devaient être débarqués à Sihanoukville mais le commandant de la base refusa de les prendre en charge. Ils furent donc déplacés sur l'île Rong Sam Lem. A leur arrivée, le capitaine Miller du Mayagüez  a été présenté au chef de la base qui lui a expliqué que les khmers rouges avaient déjà perdu trois bateaux et de nombreux hommes et étaient manifestement soucieux d'éviter d'autres bombardements  américains. L'officier demanda donc au marin stupéfait de contacter ses forces navales pour obtenir un cessez le feu. Le capitaine Miller a expliqué que s'ils revenaient au navire rallumer ses moteurs, ils pourraient alors se servir de la radio pour  appeler ses supérieurs à Bangkok, qui pourraient à leur tour contacter l'armée américaine. L'officier khmer rouge transmit cette proposition à sa hiérarchie qui accepta que Miller et neuf de ses  hommes retournent sur le Mayagüez. Comme la nuit tombait, il a été décidé qu'ils reviendraient à la Mayagüez le lendemain matin, le 15 mai. Pour s'assurer de la pleine réussite du plan, la radio officielle cambodgienne diffusa le matin du 15 mai à 6 heures un message annonçant que les khmers rouges étaient prêts à restituer le navire mais sans mentionner les marins. L'émission ne fut captée par Washington qu'une heure plus tard or la mécanique militaire était déjà enclenchée.

Le bureau ovale avait en effet décidé de déclencher une opération de sauvetage. Malgré le manque d'informations précises, les autorités supposaient que les marins étaient toujours détenus sur le navire. L'opération devait comporter 4 phases dont trois furent complétées
  • des bombardements sur la côté cambodgienne contre l'aéroport de Ream et la raffinerie de Sihanouville par des avions de marine
  • des bombardements de B52 depuis Guam sur tout le Cambodge (non effectué car les otages furent libérés avant)
  • une débarquement par hélicoptère sur l'île de Koh Tang afin d'y fixer les forces présentes
  • un abordage du Mayagüez par l'USS Holt et la libération du navire par un commando de marines
marines montent à bord
la libération du navire
Les bombardements continentaux se déroulèrent sans problème. La libération du Mayagüez fut une partie de plaisir, les khmers rouges ayant abandonné le vaisseau. En revanche les Américains connurent les pires difficultés à Koh Tang. 230 marines devaient débarquer en deux vagues soutenues par l'aviation, soit d'après les services de renseignements une supériorité de deux contre un. Or il y a avait au moins 300 combattants khmers rouges, lourdement armés et disposant de bunkers qui vont accueillir d'un feu nourri les force américaines. Sur les 8 hélicoptères de la première vague, 3 sont détruits, 4 endommagés. Parmi les victimes, l'agent radio chargé de coordonner les bombardements aériens. Les combats violents durèrent une bonne partie de la matinée et malgré l'arrivée de la seconde vague la situation semblait bloquer car les khmers rouges étaient solidement installés dans la jungle.

épaves d'hélicoptères américains
 Or au même moment  l'équipage du Mayagüez venait d'être chargé sur le navire de pêche thaïlandais  le Sinvari (qui avait lui-même été capturé par les Khmers rouges cinq mois plus tôt).  A 9h35 un avions de reconnaissance américain P-3 Orion repère  le Sinvari et observe des européens à bord. A 09h49 l'équipage du Mayagüez est amené à bord de l'USS Wilson. La libération fut confirmée 1 heure et demi plus tard par Washington qui suspendit les opérations mais omis de déclarer à son opinion publique que c'étaient les khmers rouges qui avaient libéré les otages et non les forces des Etats-Unis d'Amérique. Sur Koh Tang, la situation n'en restait pas moins compliquée. Pour ne pas risquer l'anéantissement des troupes débarquées, le commandement envoya d'autres renforts pour secourir les éléments isolés tandis qu'un vaste appui feu se déploya. Avions et artillerie se coordonnèrent :  un AC-130E tira à moins de 50 m des positions amies, un C-130E  largua une bombe thermobarique BLU-82 « Daisy Cutter » de près de sept tonnes sur les positions khmers (c'était à l'époque la plus grosse bombe non-nucléaire de l'arsenal US) l'artillerie du Wilson arrosa la jungle. Par petits groupes les soldats américains purent s'extraire de la plage.

L'opération présentée comme un succès doit être relativisée. 38 tués et 41 blessés côté américains, une soixantaine côté khmers rouges. L'opération a montré de graves carences dans le renseignement, la coordination des armes et sur l'aspect précipité de l'attaque. Des lacunes qui ne sont pas sans rappeler celles qui mèneront au fiasco de la tentative de libération des otages américains d'Iran du 24, 25 avril 1980 (opération Eagle Claw). Le développement des Seal et Delta Force en découlera. Du côte khmer rouge les buts d'une telle opération sont peu clairs et il semble que l'attaque du navire soit plus une initiative locale qu'une opération téléguidée par le haut. Le refus du commandant de Sihanoukville de garder les marins, la panique devant la réaction américaine en sont la preuve.

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