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histoire par la photo : les deux empereurs Puyi et Mao

C'est une des photos les plus surprenantes et les plus chargées en symboles. En 1961, Aisin Gioro Puyi rencontre Mao. Le cliché capture un moment historique fort et étonnant. Le dernier empereur de la dynastie mandchoue Qing  aux cotés du maître de la Chine communiste, liquidateur de la Chine dite féodale. L'attitude des deux hommes n'est pas feinte. Du côté de Puyi il y a un sincère quoique surprenant bonheur de vivre dans une Chine qu'il apprend à connaître et chez Mao une forme de respect devant l'héritier des empereurs dont lui-mêle reprendra les codes et les usages. 
 
Puyi c'est un destin tragique. Empereur à 3 ans (1908)  suite aux conspirations de la reine Cixi, destitué à 6 ans ( 1912) , c'est d'abord un enfant propulsé dans la Chine des Qung  entre invasions étrangères et révolutions républicaines. Du monde extérieur, le jeune ne connaît pas grand chose, protégé, enfermé dans la Cité Interdite. Balloté entre les appétits des étrangers (dont les Japonais), des seigneurs de guerre et des républicains chinois, étouffé par les eunuques serviteurs qui se servent dans les caisses de l'Etat, écrasé par une famille dont ses mères (paradoxalement sa mère biologique est celle qu'il voit le moins) le suit et lui impose une code rigide, le petit empereur ne trouve des distractions qu'auprès de son précepteur écossais et de son frère. Alors que la Chine s'enfonce dans le chaos, l'ancienne cour impériale vit dans un cocon. Mais les évènements les rattrape et l'ex empereur doit fuit Pékin en 1924, pour Tianjin, puis Yingkou, Dalian et enfin Changchun. En partant vers l'Ouest, Puyi tombe entre les serres des Japonais qui profitent de la naïveté de l'empereur, de son rêve de reconquête du trône grâce aux étrangers pour le mettre à la tête de l'Etat fantoche du Mandchoukouo. Les Japonais cherchent à rendre respectable leur prise de contrôle de la Chine du Nord-Est aux yeux de la communauté internationale. En vain car seuls les pays de l'Axe reconnaissent ce nouvel Etat. Puyi est sacré empereur en tenue cérémonie mandchoue en 1932 malgré l'opposition des Japonais. Un gouvernement est mis en place composé majoritairement de ministres chinois. Mais ce n'est que de l'apparence. Dans les faits c'est l'armée japonaise qui commande. Ainsi l'empereur Hiro Hito met 1 mois avant d'envoyer un télégramme de félicitations au nouvel empereur de Chine.  Pour bien faire sentir leur emprise, les Japonais marient Pujie le frère de l'empereur à la princesse Hiro Saga parente d'Hiro Hito et font de leur futur enfant l'héritier présomptif. Puyi est obligé de prendre le shintoïsme comme religion d'Etat. Le Mandchoukouo devient une véritable colonie militaire où l'économie est mise en coupe réglée par les officiers nippons et les mafias.  Comment expliquer cette  passivité ? D'abord les Japonais ont joué à fond la carte de la peur de Puyi vis à vis des Chinois en exagérant les tentatives de capture de l'ex empereur. Ensuite Puyi nourrit une colère froide contre les républicains et les seigneurs de la guerre qui l'ont régulièrement trahi et qui surtout insulte suprême ont pillé les tombeaux de ses ancêtres. Enfin les visites de Puyi au Japon l'ont fortement impressionné.

 Pourtant le vent et Puyi tourne en 1942. Le tournant c'est le décès le 14 août 1942 de Tan Yuling, la jeune concubine officielle de Puyi qui lui portait une sincère affection. Officiellement elle meurt des suites d'une fièvre typhoïde. Mais Puyi a tout de suite un doute. La jeune fille n'appréciait pas les Japonais et son décès intervient après qu'un médecin japonais lui ait fait une injection pour la soigner. Puyi restera persuadé que les Japonais ont fait disparaître cette opposante. Cette prise de conscience tardive  s'accompagne de signes précurseurs du drame à venir : les rations alimentaires baissent, le cuivre et le plomb du palais disparaissent, la presse japonaise parle de plus en plus souvent des "jades détruits"c'est à dire des morts au champs d'honneur.  Quand l'empire japonais s'effondre, Puyi le suit en subissant une seconde destitution. Son destin semble tout tracé : collaborateur, la peine capitale. Mais la chance lui sourit. N'ayant pas été évacué à temps par les Japonais, il est capturé par les Russes qui sur ordre de Staline le traite bien et l'envoie à Chita puis Khabarovsk. Malin Staline conserve cet atout et ne le livre pas aux troupes nationalistes. Dans son exil, Puyi subit des interrogatoires, une rééducation. Il devient admirateur du communisme et adresse même deux demandes à Staline l'une pour devenir citoyen soviétique et l'autre  pour épouser une jeune russe Maria Tishchenko. Cet exil russe permet surtout à l'ex empereur de préparer sa défense pour le procès de Tokyo. Rééduqué par les soviétiques, profitant de sa personnalité fragile, influençable et imprévisible, chargeant de tous les torts les Japonais, Puyi fait bonne impression devant le tribunal qui le juge plus victime qu'acteur et qui considère que les Chinois se chargeront eux mêmes de le châtier.


Mais en 1949 un coup tonnerre éclate. Mao remporte la guerre civile. Puyi et sa famille sont transférés en 1950 à Fushun, puis Harbin. L'ex empereur devenu le citoyen Aisin Gioro Puyi subit une seconde rééducation où il avoue tout. Quand s'ouvre son procès, il s'attend à une issu fatale or le tribunal prononce la relaxe confirmée en 1959 la décision de Mao d'amnistie générale des criminels de guerre.  C'est presque un paradoxe à un moment où Mao suite à la campagne des 100 fleurs mène une féroce répression des déviationnistes de droite. Pourtant cette amnistie s'explique très bien dans l'esprit des dirigeants chinois. Ils considèrent que les révolutionnaires russes ont commis une faute grave en exécutant le Tsar Nicolas II et en se conduisant comme l'ancien régime. Le symbole est plus fort de voir l'opposant naturel, l'incarnation de l'ordre déchu embrasser la cause de la Chine Nouvelle. Le citoyen Puyi adhère en effet au parti communiste chinois, devient jardinier au jardin botanique. En 1959 Zhou Enlai lui suggère d'écrire le livre de sa vie, conseil répété à nouveau en 1961 par Mao qui honneur rare reçoit l'ex empereur et lui conseille de se remarier (il le fera avec Li Shuxian un infirmière). Cette dernière phase de sa vie n'est pas la moins rocambolesque. Son livre "la première moitié de ma vie" basé sur ses confessions pendant sa rééducation sort en 1964 et est traduit dans de nombreuses langues dont le français. Puyi devient bibliothécaire au sein de la conférence consultative du peuple chinois. Mais en 1967 ce chinois comme les autres est rattrapé par le révolution culturelle. Les gardes rouges envahissent son domicile et malgré la protection policière le dépouille de ses meubles, le moleste et le prive de son salaire et de sa ration alimentaire. Mais Puyi échappe aux lynchages et humiliations publics. Mais ces derniers soubresauts le fragilisent encore, lui a vécu perpétuellement sous la peur. Il s'éteint des suites d'un cancer et de troubles cardiaques le 17 octobre 1967. 

Ses cendres  dont déposées au cimetière de Babaoshan, l'ancien cimetière des concubines impériales et des eunuques transformé en cimetière de la Révolution. En 1996, sa veuve obtient de les faire déplacer dans un cimetière privé près des Tombeaux Occidentaux des Qing.

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