Le commodre Perry et la révolution politique japonaise

Il est rentré dans l'histoire à travers l'image de ses navires noirs. En juillet 1853, le commodre Perry en abordant les côtes japonaises provoque plus qu'une nouvelle manifestation du colonialisme occidental. Ce véritable choc va bouleverser l'histoire du Japon qui vivait centré sur lui-même ou presque depuis près de 200 ans. Il va mettre à bas un régime et ouvrir une ère de réformes sans précédent dans l'archipel qui va passer de pays en développement à nation industrielle majeure.

Les rapports entre le Japon et le monde extérieur sont au point mort depuis que le sakoku l'édit de fermeture de 1635 isole le Japon des influences extérieures. Des règles strictes empêchent l'émigration des Japonais hors de l'île, l'immigration illégale des Européens est passible de peine de mort, le catholicisme est interdit dans l'île, le commerce avec l'étranger est fortement limité tant quantitativement (réservé aux Hollandais et aux Chinois) que spatialement (enclaves spéciales de Nagasaki, îles de Ryu Kyu). Mais en juillet 1853, 4 canonnières américaines du commandant Perry -le Mississippi, le Plymouth, le Saratoga et le Susquehanna- abordent les côtes de l'archipel. Les Japonais sont stupéfaits par ses vaisseaux à vapeur qu'ils appellent kurofune les bâteaux noirs. Perry réclame l'ouverture au commerce de l'archipel appliquant à la lettre la politique de la canonnière. Pour appuyer ses demandes il met ses vaisseaux en position de tir sur le port d'Uraga, ses marins armés de fusils montent sur les ponts ce qui impressionne et choque les Japonais chez qui le métier des armes est le privilège d'une minorité. Il envoie un ultimatum aux officiels japonais leur annonçant leur défaite en cas de refus. Le pouvoir shogunal est impressionné et demande l'avis des daimyos sur la position à tenir.

Or le Japon subit au même moment des troubles sociaux graves. Beaucoup de clans samouraïs incapables de maintenir leur niveau de vie ont disparu jetant des milliers de samouraïs sans maître (les ronins) dans la pauvreté. L'extrême pauvreté frappe les paysans. Les grands seigneurs de l'Ouest et du Sud (Chosu et Satsuma) sont toujours habités du désir de revanche depuis la défaite de Sekigahara et la prise du pouvoir des Tokugawa. Le shogun est la cible des critiques. Face à la demande du shogun, le conflit se répand. Les clans se servent de l'arrivée des européens pour attaquer politiquement le système. Le débat s'étend aussi à toute les castes car jeunes et anciens samouraïs se divisent. Devant le blocage, le shogun passe en force et signe deux accords avec les Européens :

• le traité de Kanagawa en 1854 ouvre les ports de Nagasaki, Shimona, Hakodate aux Américains et permet à un consul américain de s'installer
• 1858 : le traité d'amitié et de commerce avec les Etats-Unis ouvre complètement le pays au commerce et sera complété avec une série d'accords avec les autres puissances occidentales (Russie, France, Grande-Bretagne)

Cette ouverture ouvre le bal de 20 ans de troubles. Naosuke Li, homme fort du shogun purge dans le sang les rangs de l'opposition. En représailles il est tué par un groupe de ronins venus de Satsuma et Mito. Les opposants au shogun se regroupent autour du slogan "Vénérez l'empereur, chassez les barbares". Ils franchissent un cap en frappant les étrangers : 

• Henry Heusken, le traducteur hollandais de Townsend Harris consul des Etats-Unis, est tué en janvier 1861
• 1861 : l'ambassade britannique est attaquée

• 14 septembre 1862 : incident de Namamugi, 4 citoyens britanniques sont attaqués

 

• Mai 1863 : l'ambassade américaine d'Edo est incendiée
• 10 mai 1863 le clan Chosu  tire sur les bâteaux occidentaux dans le détroit de Shimonoseki

Bataille de Shimonoseki

La tension entre l'empereur (sans pouvoir à l'époque) et le shogun augmente. Tandis que le shogun accélère l'ouverture, l'empereur Komei pose un ultimatum aux étrangers. La réponse des étrangers est rapide et spectaculaire. Les 15-17 août 1863, la flotte britannique bombarde Kagoshima la capitale du clan Satsuma. Les flottes occidentales bombardement en septembre 1864 le port de Shimonoseki qui est occupé par des forces de débarquement. La démonstration de force produit le renversement idéologique des clans Chosu et Satsuma. Ils sont convaincus (les jeunes samouraïs) qu'ils ne pourront vaincre qu'en copiant les occidentaux  : le clan Chosu confie à un simple roturier, le médecin Omura Masujiro parlant anglais et allemand la mise en place des premiers régiments Kihetai armés de fusils sur le modèle prussien.  Le pouvoir shogunal réagit en menaçant le clan de représailles sévères s'il ne démobilise pas ses hommes. Les anciens plient  mais sont renversés par la jeune génération menée par Yamagata Aritomo. Le même mouvement secoue le clan Satsuma. La guerre quasi civile vient de prendre une tournure sociale. Il lui manque un leader politique.

Or en 1867, l'empereur Komei meurt remplacé par son second fils Mutsuhito qui gouverne sous le nom de Meiji Tenno ("gouvernement éclairé").  Pro-occidental, réformateur, il s'appuie sur la rébellion des clans du Sud contre le shogun. La guerre de Boshin (3 janvier 1868, 18 mai 1869) s'ouvre entre le troupes fidèles au shogun et les partisans de l'empereur. Fortement armée et entraînée à l'occidental, la troupe impériale est inférieure en nombre aux forces shogunales qui en catastrophe ont acheté 100 000 fusils à la France de Napoléon III mais combattent encore à l'ancienne. Le premier combat à Toba-Fushimi s'étend sur 4 jours et se solde par la défaite des forces shogunales. L'effet est immense, les clans rallient l'empereur tandis que les Européens décident d'observer une stricte neutralité. Les partisans de l'empereur remonter sur Edo et en moins d'un an écrase toute rébellion. Le shogunat est aboli, l'institution impériale restaurée. Mais Meiji ne compte pas revenir à l'ordre ancien. Omura Masujiro est nommé ministre de la guerre, Yamagata Arimoto devient conseiller personnel de l'empereur avant de succéder à son mentor.  Ensemble ils dotent le Japon d'une armée moderne, occidentalisée c'est à dire qu'il décide d'armer les fils de paysans enrôlés dans une troupe de conscrits. Les alliés d'hier (Clan Chosu et Satsuma) s'opposent à nouveau et assassinent Omura. L'empereur maintient sa politique et décide de neutraliser les clans guerriers : l'impunité judiciaire, le droit d'exécuter des roturiers irrespectueux leur sont retirés. Le port du sabre leur est interdit en 1876. Le point de non-retour est franchi. Le clan

Rebelles de Satsuma (1877)

Satsuma entre en rébellion en 1877 sous les ordres de Saigo Takamori. Sa troupe de samouraïs est écrasée par la jeune armée impériale. La rébellion est finie ou presque. Okubo Toshimichi ministre de l'intérieur et ancien membre du clan Satsuma est assassiné en 1878, le ministre de l'éducation Mori Arinori est tué à son tour en 1889 ouvrant la liste des assassinats politiques. Mais Meiji est un fin stratège. En 1891 il choisit la réconciliation en pardonnant et anoblissant à titre posthume Saigo Takamori et sous les conseils de Yamagata fait de ce dernier un héros national face au "traître" Okubo. La politique porte ses fruits car l'armée recrutera massivement parmi les familles des anciens vaincus de la guerre de Boshin.

En 15 ans le Japon a connu un complet bouleversement. Pacifié à l'intérieur, unifié autour d'un empereur autoritaire et respecté, occidentalisé, il devient la première puissance industrielle non européenne.