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la grande famine du Bengale de 1943

Dans le cortège de drames du second conflit mondial, la famine qui frappe la province du Bengale à l'Est de l'Inde est passée inaperçue. Entre 1,5 et 4 millions de personnes mortes. Ce drame a longtemps été tenu secret par le autorités britanniques dont le rôle a accentué une situation causée à l'origine par une catastrophe climatique. Retour sur un exemple de la folies des hommes.

En 1942 l'empire britannique va mal. Menacé en Afrique du Nord par l'Afrika Korps de Rommel, il encaisse les coups de boutoir de l'armée japonaise. La Malaise est perdue en janvier 1942, le 15 février 1942 Singapour tombe et en mai 1942 la Birmanie est prise par les Japonais qui menacent la frontière orientale de l'Inde. Le 5 avril 1942, la flotte japonaise mène un raid sur la base naval de Ceylan coulant 7 navires de guerre et 20 navires de transport. Avec une montée des partis nationaliste en Inde et un éparpillement de ces forces, la couronne britannique n'est plus très sûre de tenir longtemps le joyau de la couronne. Le gouvernement décide de prendre des mesures draconiennes et potentiellement dramatiques pour éviter ou rendre difficile toute attaque japonaise par le Bengale dont la défense est très faible. Le premier ministre Churchill préconise une politique de terre brûlée dans toute la province. Le Vice-Roi s'y oppose et la limite à la seule région côtière et frontalière avec la Birmanie autour de Chittagong.  Ainsi le riz en stock est soit détruit, soit rapatrié au coeur de l'Inde pour nourrir les forces britanniques soit racheté par les marchands de toute l'Inde ce qui produit une inflation dangereuse des prix. De même les moyens de transports de la région sont retirés : un exemple sur 66 000 bateaux, les 2/3 sont détruits, le reste utilisé en priorité pour le transport de la toile de jute, la production principale et stratégique de la province.

Le 16 octobre 1942, un cyclone frappe la côte Est du Bengale. Sur une bande de terre de 65 km, les terres sont inondées, les récoltes détruites. 40 000 personnes meurent ainsi que 190 000 têtes de bétail. Pour faire face au désastre imminent, les paysans piochent dans leur maigre stock c'est à dire les graines qui devaient être plantées lors de l'hiver 1942-1943 pour passer la saison chaude du printemps 1943.  En 1943 rien n'a donc été planté.

Dans ce désastre la responsabilité britannique est énorme. D'abord Churchill refuse d'envoyer de la nourriture dès les premiers signes de famine : cyniquement il compte accumuler des stocks pour l'Europe et les revendre après guerre ce qui aidera la Grande-Bretagne  à payer sa dette vis à vis des Etats-Unis. Ensuite il a une vision très raciale du Bengale et de l'Inde. Les bengalis ne font pas partie des "races martiales", une théorie développée au sein de l'armée anglais selon laquelle certains peuples comme les Siks du Penjab sont plus aptes à fournir de bons soldats. En clair le Bengale n'est pas prioritaire. Pour preuve en 1944 quand le Pendjab manque de céréales, le pouvoir britannique trouve très vite de la nourriture. N'oublions pas aussi que Churchill se méfie de l'Inde et de ses chefs indépendantistes : entretenir la famine c'est affermir son pouvoir. Plus importante est le rôle de l'inflation. Les études récentes montrent qu'en 1943 malgré la catastrophe les stocks sont plus importants qu'en 1941 où ne se déclenche pas de famine. La raison est économique. Les dépenses de guerre ont fait augmenter le pouvoir d'une minorité de bengalis - 1 à 2 % - employés liés au secteur militaire, propriétaires. De plus l'évacuation du riz a provoqué une hausse du prix. Les deux phénomènes concourent pour fragiliser la situation des plus modestes - les paysans sans terre, les pêcheurs, les dépouilleurs de riz (paddy huskers) et d'autres groupes dont la valeur réelle du salaire avaient déjà chuté de deux tiers depuis le début de la guerre - qui forment la majorité de la population.  Ainsi tandis que le groupe des "privilégiés" a pu manger à sa faim et même beaucoup plus, la masse du peuple a crevé de famine et des maladies liées à la sous nutrition.  Il faut attendre fin 1943 pour que les autorités acceptent l'envoi tardif de secours. En 1944 les britanniques décident de mener une enquête sur les causes de la famine. Il s'agit en réalité d'un politique de blanchiment car sont pointées du doigt l'incompétence des autorités locales et la corruption des fonctionnaires. La politique de terre brûlée et la confiscation des transports sont soigneusement tues.

Les conséquences de cette famine dépassent le seul drame humain. Elle va accentuer le divorce entre hindous et musulmans et rendre possible les massacres de l'après guerre. En effet pendant que la famine sévit, la province est administrée par la Ligue musulmane qui va accuser les propriétaires hindous d'être les responsables de la catastrophe.

pour aller plus moins : le reportage de la catastrophe par le magazine life

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