A redécouvrir

Rome vue de la Chine, Chine vue de Rome : regards croisés aux temps antiques

Représentation chinoise du peuple romain
La Chine des Han et la Rome impériale représentent les deux plus grandes puissances politiques du Vieux Monde au moment de l'émergence du christianisme. Eloignées, séparées par les déserts d'Asie Centrale et les peuples nomades, les deux puissances ne s'ignorent pas. Si nous avons déjà parlé de l'itinéraire des légionnaires romains de Crassus dont les pérégrinations les ont peut être conduits à s'installer en Chine, nous allons approfondir la relation.

La soie comme messagère
C'est à travers un produit, la soie que les mondes antiques Méditerranéens apprennent l'existence de l'immense empire chinois. La précieuse matière est connue depuis le 2è sicèle avant J-C, les cavaliers parthes qui submergent les légionnaires de Crassus en - 53 brandissent de flamboyants étendards faits en soie. Si la matière est connue, son lieu de naissance est nimbé de mystère. Les auteurs antiques, Virgile, Pline l'Ancien évoque un peuple lointain les Sères (ou la Sérique) d'où proviendrait le "un duvet blanc" dont ils pensent qu'il est créé par un arbre.  

"Les Seres sont célèbres pour la substance de laine obtenue à partir de leurs forêts; après un trempage dans l'eau, ils ratissent  en bas des feuilles ..." Pline l'Ancien, Histoires Naturelles, Livre VI

La Sérique est située pour ses auteurs à l'extrémité de la Terre, au delà de la Bactriane Hellénistique, cette province pakistanaise conquise par Alexandre et qui forme l'extension orientale maximale de son empire. Pour le reste les connaissances sont floues mêlant fantasme et exagération. Strabon raconte ainsi que les Sères vivent 200 ans. Pline l’Ancien rapporte la description étonnante qu’en fait Rachias, un ambassadeur de l’île de Taprobane (Ceylan) à Rome qui n'a vraisemblablement jamais mis les pieds en Chine : les Sères pratiquent le commerce à la muette puisque :"les commerçants déposent en effet leurs marchandises  dans un lieu solitaire où l’acheteur en prend livraison hors de leur présence ". On trouve aussi des mentions que les Sères ne connaissent pas la prostitution, ni le crime, ni l'adultère... Cette méconnaissance tient de deux facteurs : d'abord la présence entre les deux empires des peuples nomades ou semi-nomades comme les Parthes ennemis de Rome et qui bloquent les échanges entre les deux puissances ; ensuite les considérations internes à Rome où paradoxalement le commerce de la soie est critiqué car il implique un transfert de métaux précieux vers l'Est au détriment des finances d'un empire qui manque toujours cruellement de fond. 

Sénèque rapport les nombreuses prises de positions du Sénat pour limiter voire interdire (en vain) le port de vêtement en soie : " Je peux voir des vêtements de soie,  qui ne cachent pas le corps, ni même sa décence, qui ne peuvent être appelés des vêtements ...je vois ainsi des  troupeaux misérables de femmes dont l'adultère peut être visible à travers leur robe mince, de sorte que les étrangers ont autant connaissance de leur corps que leur mari"

 Voyageurs et ambassade
Pourtant note-t-on dans les sources quelques témoignages plus précis. Dans ses Histoires Naturelles livre XI, Pline l'Ancienne évoque à nouveau la création de la soie avec cette fois-ci plus de justesse : 
  
" La larve [du "bombyx "] devient alors une chenille, après quoi il prend l'état dans lequel il est connu comme "bombylis'" (...) et après  six mois, il devient un ver à soi Ces insectes tissent des toiles similaires à celles de l'araignée, la matière qui  est utilisée pour la fabrication des vêtements les plus coûteux et luxueux des femmes "

Une telle précision est le signe de contacts humains entre les deux empires.  Maes Titanus, un marchand macédonien entreprend une remontée de la route de la soie pour organiser un approvisionnement régulier du précieux tissus, a atteint la tour de Pierre identifiée comme la ville de Tashkurgan dans la province du Xinjiang actuel c'est à dire la porte de la Chine. Des marchands des deux puissances se rencontrent fréquemment le long de la route de la soie terrestre mais aussi au Sri Lanka étape essentiel de la route maritime. Il semble que les comptoirs indiens et syriens aient joué un rôle essentiel dans le transit des marchandises romains prisées par la Chine : verre, tapis brodés d'or. Le plus important contact a lieu en 166, sous le règne de Marc Aurèle (nommé Antun dans les chroniques chinoises du nom de son père Antonin le Pieux qui a lancé l'expédition avant de mourir en 161), lorsqu'une ambassade se rend à la cour des Han. La mission romaine venait du Sud par mer et a offert des cadeaux somptueux: cornes de rhinocéros, ivoire  et coquilles tortue. Le texte précise que c'était la première fois qu'il y avait un contact direct entre les deux pays. En 226, un marchand romain a l’honneur de rencontrer l’empereur chinois Wou à Nankin. Il lui offre vingt pygmées noirs. Puis, en 248, une importante délégation commerciale romaine dépêchée par l'empereur Alexandre Sévère arrive encore en Chine et est reçue par Cao Rui du Royaume de Wei. Cette fois, ils offrent des pierres précieuses de Syrie. Une dernière est mentionnée en 284 envoyée par l'empereur Carus.

Les Chinois se sont aussi engagés dans ce processus de découverte. Il est à noter qu'ils avaient le plus grand respect pour le Da Qin. On peut lire ceci dans un texte du IIIè siècle :  

"le monde est dirigé par quatre empereurs, quatre Fils du Ciel. Au Nord, se trouve le Fils du Ciel des chevaux, c’est-à-dire le territoire des Scythes. Au Sud, il y a le Fils du Ciel des éléphants, c’est-à-dire l’Inde. A l’Est, c’est la Chine et son empereur est le Fils du Ciel des hommes. Et enfin, à l’ouest, se trouve le Fils du Ciel des richesses, en la personne de l’empereur romain"

Le Da Qin est un pays riche et bien organisé. La qualité de sa justice est vantée, ainsi que son système de monarchie élective où le roi est destitué en cas de calamités. L’honnêteté des marchands romains est aussi reconnue. Sa monnaie d’or est d’argent est considérée comme bonne. Beaucoup de fantasmes également dans cette vision chinoise.

Zhang Qian disant au revoir à l'empereur
Les ambassades chinoise ont été nombreuses à prendre la route de l'Ouest. Mais rare sont celles qui ont dépassé l'Asie Centrale à cause des peuples nomades. En effet  suite aux expéditions de Zhang Qian le long de la route de la soie, la curiosité amène les empereurs de l'empire du milieu à pousser plus loin leurs ambassades. En 97  l'empereur Wudi charge son général Ban Chao d'entrer en contact avec les Romains. Son envoyé Gan Ying atteint la Grande Mer (Golfe Persique, Méditerranée, Mer Noire ?). Il n'ira pas plus loin car les Parthes adversaires de Rome ne souhaitant pas un rapprochement entre les deux puissances le dissuadent habilement en affirmant que le voyage à travers la mer est dangereux et pourrait prendre deux ans. L'émissaire se contentera de collecter des informations de seconde main, des récits de marins avant de venir faire son rapport le Hou Hanshu quelque peu fantaisiste. Un exemple avec l'analyse de l'organisation du  pouvoir romain : 

"Leurs rois ne sont pas permanentes. Ils choisissent et nomment l'homme le plus digne. S'il y a des calamités inattendus dans le royaume, tels que les vents ou des pluies extraordinaires fréquentes, il est rejeté sans ménagement et remplacé. Celui qui a été rejeté tranquillement accepte sa rétrogradation, et n'est pas en colère. Les gens de ce pays sont tous grands et honnête"
Quand on sait que la moitié des empereurs ont disparu de mort violente..
 
Carte du monde chinoise du 11è siècle : l'ancien monde romain apparait à gauche

Une seule ambassade côté chinoise, beaucoup plus de marchands , ces contacts ont tissé un lien fragile qui a été interrompu  à la fois par les troubles internes de chaque empire et par la lutte séculaire contre les cavaliers nomades.

Commentaires

Enregistrer un commentaire