A redécouvrir

L'incident de Wushe : les guerres coloniales japonaises

1895, le traité de Shimonoseki sanctionne la défaite de la Chine impériale des Qing face au jeune Japon industriel et clôt temporairement la guerre entre les deux voisins. Taïwan et quelques îles sont donnés au Japon.

Taïwan présente pour le Japon un triple défi. C'est la première véritable colonie (si l'on excepte la conquête d'Hokkaido), c'est une population mixte avec 45 % de chinois ou  de personnes administrées selon les lois chinoises et 55 % de population dite aborigènes au centre de l'île fonctionnant en tribus ; enfin le pouvoir politique japonais est divisé sur la stratégie à adopter dans l'île : 
  • Goto Shinpei, un civil en charge de l'administration des territoires récemment acquis n'est pas favorable à une assimilation totale des taïwanais et des coréens à cause des différences culturelles. Prenant modèle sur l'empire anglais, il préconise la méthode de la carotte et du bâton et est favorable à un système proche de l'indirect rule où les élites locales gouvernent au nom du japon en fonction de lois qui leur sont propres
  • Hara Takashi,le 1er ministre défend la position inverse et recherche l'assimilation totale.
leader de la révolte
les révoltés
La première vision prédomine jusqu'en 1915 et au soulèvement de Yu Qingfang appelé aussi révolte de Tapani ou révolte du temple de Xilai. A la source se trouve Yu Qingfang, simple agent de police taïwanais. Influencé par les mouvements millénaristes et sectaires très actifs dans la culture chinoise (se rappeler des Boxers ou des Tai Ping en Chine), c'est en sortant de prison qu'il lance son mouvement le Da Ming Ci Bei Guo "Grand, éclairé et bienveillant pays" qui serait en mesure de chasser les Japonais. Au sein du petit peuple son discours fonctionne et il lève une petite troupe qui
les prisonniers attendant leur jugement
attaque les forces de police de Tapani. Traquée par les forces de secours envoyées par le gouverneur, elle se réfugie dans la montagne d'où elle est délogée. Yu est capturé  ainsi que 1957 autres personnes et conduit devant le Tribunal provisoire. 1413 sont condamnées, 453 emprisonnées et 866 punis de mort.  La condamnation sévère attire l'attention de la Diète japonaise (le parlement japonais) et après que 95 condamnations ont été menées, les autres ont été commuées en emprisonnement à vie. 

L'évènement conduit les autorités japonaises à mener une assimilation forcée. La politique de Doka considère Taiwan comme une extension des îles intérieures et les taïwanais comme des sujets japonais. L'utilisation de la langue japonaise est récompensée et les pouvoirs locaux contraints d'appliquer les lois japonaises. Ceci contraste fortement avec l'approche des administrations précédentes à l'égard des affaires locales où les seules préoccupations du gouvernement étaient " les chemins de fer, les vaccinations, et l'eau courant"." Cette nouvelle politique s'impose dans les zones urbaines où le contrôle policier et militaire est fort et se double de la collaboration d'une partie des élites. Ainsi l'implication directe de la police dans l'administration locale est assouplie, de nombreuses peines sévères ont été supprimés (bastonnade en public). En résulte une forme d'auto- gouvernement qui mine l'influence  des groupes nationalistes. Dans les années 1930, la résistance armée a été donc largement remplacée par des mouvements politiques et sociaux organisés au sein de la génération plus jeune taïwanaise. 


Les zones montagneuse sont en revanche gérées différemment. Il faut rappeler que la première révolte anti-japonaise, celle de Beipu, fut menée par des membres des tribus  Hakka et Saisiyat du Nord-Ouest de l'île.  Les premiers contacts entre Japonais et tribus sont difficiles. En 1901 une troupe japonaise de 670 soldats tombent dans une embuscade et sort vaincue. Lors de l'incident de Shin Cheng,  des soldats japonais qui ont violé certaines femmes autochtones sont pourchassés par deux chefs et vingt hommes qui en tuent treize. Lors de celui de Renzhiguan, la tribu Tgdaya résistant, plusieurs de ses membres sont abattus par les Japonais ce qui relance les tensions. Plus importants sont les cas de la tribu Truku qui  forte de 2 000 personnes résiste pendant 8 ans aux Japonais et celui  du chef de la tribu seediq Mona Rudao qui tente d'unifier 7 des  12 tribus de sa région  et tient tête  de 1914 à 1917 aux forces japonaises. Même, après la pacification, les Aborigènes sont  encore
seediq
désignés comme " seiban "  barbares, et traités comme des sauvages plutôt que sujets égaux. Les tribus doivent être « apprivoisées » par l'assimilation selon les termes de l'administration coloniale, désarmées  et forcées à déménager dans les plaines pour y mener une existence agraire. Cette assimilation passe par le travail de force, le non-respect des coutumes locales et les vexations de la part des policiers japonais. Un feu couvait qui devait embraser une tribu jugée comme en voie d'assimilation : les seediq.

Soldat japonais sur les lieux du massacre
Elle était en effet présentée comme un exemple réussi de la politique coloniale : leur chef  Mouna Rudao étant l'un des 43 leaders indigènes sélectionnés pour une tournée au Japon quelques années plus tôt.  Pourtant en octobre 1930 une banale affaire de bagarre a débouche en rébellion suivie de son cortège de répression violente. Tout est parti du banquet de mariage donné par Mouna Rudao en l'honneur de son fils. Selon les coutumes locales des animaux furent sacrifiés. Le chef proposa d'offrir un verre à Katsuhiko Yoshimura, un policier japonais violent en patrouille. Mais ce dernier refusa prétextant que les mains du chef étaient impures à cause du sacrifice. Pour les seediq ce refus  était très humiliant, le chef tenta de forcer le policier à boire le vin, celui-ci refusa et frappa le chef avec son bâton. L'affaire dégénéra en pugilat, le policier fut blessé. Conscient de son erreur, le chef se présenta dans les jours suivants au domicile avec une bouteille de vin afin de s'excuser mais le policier dédaigna son geste. L'humiliation s'ajouta aux vexations. 
Le 27 octobre  des centaines de Japonais se sont rassemblés dans le village de Wushe pour une rencontre d'athlétisme à l' école primaire Musyaji. Peu avant l'aube, Mouna Rudao mena un raid avec  plus de 300 guerriers Seediq contre un poste de police et rafla les armes. Ils se sont ensuite rendus à l'école élémentaire et attaquèrent  les Japonais présents. Un total de 134 Japonais , dont des femmes et des enfants, ont été tués dans l'attaque. Deux Han taïwanaises ont également été tuées par erreur, l'une portant un kimono japonais. La répression fut terrible. 2000 hommes se lancèrent à la poursuite des seediq qui se réfugièrent dans leur montagne et menèrent des actions de guérillas efficaces notamment de nuit. L'aviation fut alors appelée en renfort, bombardant les villages des rebelles et leurs refuges notamment au moyen de bombes lacrymogène ce qui constitue le premier cas d'utilisation d'armées chimiques en Asie. Fin décembre la rébellion était écrasée : sur 1200 rebelles, 640 étaient morts dont 300 par suicides pour ne pas subir l'humiliation de la défaite.

soldat japonais posant devant les têtes des guerriers seediq
 Le plus terrible fut à venir. Ota Masahiro, nouvellement nommé au poste de gouverneur  entrepris une politique de contrôle dure des peuples autochtones : certaines tribus ont été désarmées et laissées sans protection, donnant à leurs ennemis ancestraux l'occasion de les anéantir au nom de l'administration japonaise. Ainsi 500 des Seediq impliqués dans l'incident Wushe et capturés ont été confinés dans un village près de Wushe.  Le 25 Avril 1931, les groupes autochtones qui travaillaient avec les autorités japonaises ont attaqué le village, tuant tous les hommes âgés de plus de 15 ans  dans ce qui a été appelé le 2è incident de Wushe. Le gouverneur Ota fut rappelé à Tokyo.

Pourtant cette révolte a modifié la politique coloniale japonaise. En effet Wushe étant présenté comme une zone modèle,  les autorités japonaise redoutèrent que de telles révoltes se reproduisent dans les territoires "occupés" en Taïwan mais aussi en Corée.  Les aborigènes ont donc obtenu le statut de sujets impériaux comme les autres groupes ethniques de Taiwan  et furent désormais désignés par le terme  takasagozoku ( les peuples indigènes de Taiwan »). En outre, le programme d'éducation japonaise a été accéléré ainsi que la fidélité à l'empereur inculquée dans les têtes de la jeune génération. De cette façon , les autorités japonaises ont pu diviser les peuples chinois et taïwanais autochtones  en récompensant la fidélité à l'empereur. Ainsi de nombreux indigènes taïwanais ont servi dans l'armée japonais et le dernier soldat de l'empire à s'être rendu était originaire de ces tribus !!!

Commentaires