C'est un évènement disparu de nos mémoires. Mais en 1874, le Japon lançait sa première expédition Outre-Mer contre Taïwan. Outre son succès, cette expédition a montré la faiblesse de la monarchie Qing en pleine déliquescence, les nouvelles puissance et prétention de l'archipel et la grande difficultés pour contrôler l'île de Taïwan.
Cette expédition ne s'inscrit pas dans les logiques coloniales. Elle part d'un fait divers tragique. Le 18 octobre 1871, quatre navires japonais quittent les îles de RyuKyu chargés de ramener à Tokyo la taxe de capitation levée dans les îles. Mais un typhon se lève et balaie la flotte. Un navire réussit à continuer sa route, un coule et deux dérivent et sont rejetés à l'Ouest avant de couler sur la côte orientale et occidentale de Taïwan. 69 personnes réchappent au naufrage oriental et atteignent saines et sauves le rivage le 6 novembre mais 3 succombent de leurs blessures. Les 66 autres arrivent difficilement au village de Mudan où vit une tribu aborigène païwan. La plus terrible épreuve les attend. D'abord secourus, elles comprennent le 8 novembre qu'elles n'ont plus le droit de partir. Le lendemain une tentative de fuite échoue et un impitoyable massacre s'ensuit. On ne comptait que 7 samouraïs parmi les naufragés, l'essentiel étant formé de secrétaires, de servants. Seuls 12 survivants ont été sauvés par un certain Yang Youwang qui les a hébergé et protégé pendant 40 jours. Yang Youwang était un chef de village, peut être nommé là par les autorités chinoises car les rescapés témoignent qu'il portait un costume chinois. Il fut aidé par deux autres personnages : Lin Aiju, Deng Tianbao et Ling Laosheng. Yan Youwang réussit à calmer les aborigènes furieux en leur versant des peaux d'animaux précieux, des vêtements, de l'alcool ce qui peut accréditer la thèse qu'il était peut être commerçant. En effet nombreux étaient ces marchand chinois installés dans ces villages aborigènes et qui procuraient des produits de la côte en échange des fruits de la chasse. Le fils de Youwang a guidé les 12 survivants pour quitter Taïwan. Ils sont restés à Fuzhou en Chine pendant 6 mois et ont atteint Naha le 7 juin 1872 avec un navire qui allait à Yaeyama. Yang Youwang et d'autres personnes ont édifié des tombes et ont continué des cérémonies commémoratives.
Le retour des 12 survivants provoque une vive réaction japonaise. Le gouvernement de Tokyo réclame une indemnisation aux Qing de Chine et un jugement des auteurs du massacre. Les autorités chinoises reçurent le ministre japonais des affaires étrangères Taneomi Soejima mais rejetèrent ses demandes arguant d'abord que c'était une affaire interne à Taïwan donc à la Chine et ensuite que les tribus incriminées étaient insoumises et hors de sa juridiction. La Japon sur les conseils de Charles Le Gendre conseiller militaire américain (qui n'avait pas oublié l'incident du Rover) et Gustave Emile Boissonade conseilleur juridique français décide de régler lui-même le contentieux. Il envoie une expédition punitive forte de 3600 menée Yorimitchi Saigo en mai 1874 qui remporte une facile victoire sur les Païwan dont une trentaine est tuée (plus un nombre inconnu de blessés) contre 6 japonais (plus 531 morts des suites de maladies tropicales contractées lors de l'occupation de l'île. Lin Aiju réussit à voler les 44 crânes des japonais massacrés et à les remettre à la force expéditionnaire.
En novembre ces forces se retirèrent après que les Qing promirent de verser 500 000 taëls comme indemnités. Les Qing tentèrent de soumettre l'impétueuse tribu mais leur attaque de 1875 se solda par un échec. La troupe de 300 soldats tomba dans une embuscade dont 250 ne revinrent pas.
Cette expédition a eu un fort impact. D'abord pour le Japon outre la récupération des crânes, elle lui permit de ré-affirmer son autorité sur les Ryu-Kyu dont la Chine réclamait la souveraineté. En 1879, les Britanniques reconnurent la tutelle définitive du Japon. L'expédition confirma aussi l'extrême fragile de la Chine et renforça l'appétit des Européens. En 1884 lors de la guerre franco-chinoise, la France envahit l'île. Ce succès surprise éveilla surtout l'appétit des nationalistes japonais qui lorgnaient déjà sur Taïwan. En quelque sorte bien que légitime dans les buts, l'expédition de 1874 fut une répétition à l'occupation générale de l'île en 1895.
terrible
RépondreSupprimer"Ce succès surprise éveilla surtout l'appétit des nationalistes japonais qui lorgnaient déjà sur Taïwan" c'est à mon avis un point de vue réducteur qui établit une égalité de projets et surtout d'intentions entre le Japon de la fin du 19ème siècle et celui des années 1930-1940... Je pense qu'il n'en est rien et que la notion de continuité entre l'ère Meiji et la période du militarisme/fascisme japonais reste à démontrer. Le terme "nationaliste japonais" est très marqué, lourdement connoté au regard de l'épouvantable guerre d'Orient (1931-1945) au cours de laquelle le Japon met l'Asie à feu et à sang. A la fin du 19ème le Japon est une jeune nation industrielle avec des visées impérialistes et c'est tout. Les conquêtes de la France, de l'Angleterre, de l'Allemagne à la même époque relèvent-elles d'un "nationalisme" particulier ou sont-elles le propre des nations impérialistes de l'époque tout simplement. La constitution Meiji a des "trous", et elle est suffisamment ambigue pour permettre aux militaires (la marine notamment) de forcer la main à un gouvernement et à un parlement qui selon les critères applicables à cette époque n'est ni moins démocratique ni plus nationaliste que ceux de la plupart des nations fortes à ce moment de l'histoire... ce sera le cas avec la guerre Russo-japonaise par exemple mais cependant si nationalisme il y a , il a peu à voir avec ce qui va prendre forme à la fin des années 1920 :)
RépondreSupprimerje précise ce que j'entends par nationalistes. Il ne s'agit pas d'une même mouvement belliqueux qui se diffuse en Europe. Ici nationalistes veut dire ces officiers, politiciens qui sont littéralement effrayés par la colonisation qui s'abat sur le monde et l'asie en particulier. Le destin de la Chine motive un courant impérialiste pour qui le petit japon industriel doit à tout prix se renforcer pour éviter de devenir une proie. En ce qui concerne la liaison Meiji/fascisme il me semble qu'il faut toujours mettre dans la balance le rôle de la colonisation européenne. On ne peut pas comprendre le basculement japonais sans avoir, à l'esprit la politique de la canonnière appliquée en Chine notamment. Et ce Japon industriel suit les modèles européens apportés par les conseillers occidentaux pour qui la colonisation est un fardeau naturel des civilisations industrielles
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