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l'histoire par la photo : la conférence de la Grande Asie Orientale

L'un des complexités de la seconde guerre mondiale concerne l'analyse de la pensée politique des forces de l'Axe. S'il est tentant d'établir un parallèle entre le nazisme et le fascisme japonais, l'analyse des faits oblige à plus de modération. La conférence de la Grande Asie Oriental tenue les 5 et 6 novembre 1943 en est un exemple.


S'il est assez simple de tracer les axes de la politique nazie : 
  • formation d'un lebensraum regroupant les peuples germaniques
  • colonisation de l'Est de l'Europe avec asservissement des peuples slaves
  • extermination lors du double génocide judéo-bolchevique
la politique japonaise est plus confuse. S'y mêlent en effet une volonté d'extension du territoire propre et de la profondeur stratégique à travers la conquête et l'assimilation forcée de Taïwan et de la  Corée, une colonisation de la Mandchourie à travers un Etat fantoche vu comme modèle de la Nouvelle Asie sous influence japonaise, un impérialisme et  une conquête présentée  par la propagande comme une libération des Etats asiatiques. On retrouve certes l'idée d'espace vital sous l'appellation aire de co-prospérité mais aussi une politique confuse de conquête brutale de l'Asie sur fond d'anti-colonialisme et de nichirénisme. Cette doctrine nationaliste bouddhiste inspirée  par le moinde Nichiren au XIIIè siècle et théorisée par Tanaka Chigaku et  sa « Société du Pilier national » au XXè siècle se base sur la vision de Nichiren d'un affrontement général devant précéder l'avènement de l'âge d'or où le bouddhisme illuminerait le monde en apportant l'harmonie entre les Hommes. Les extrémistes nationalistes dont Tanaka Chigaku reprennent cette idée aux lendemains de la Première Guerre Mondiale en la déformant. Ils vont convaincre de nombreux militaires et politiques qu'il faut d'urgence réunir les peuples d'Asie en vue du grand conflit de la fin des temps. Des hommes comme l'officier Ishiwara Kenji sont ainsi convaincus que cette guerre opposera le Japon-l'Asie aux Etats Unis et qu'il est urgent que le pays s'arme et se renforce avant cet affrontement qu'Ishiwara imagine survenir au début des années 1970. Cette croyance ajoutée à la colonisation massive de l'Asie achèvent d'engager le Japon dans une guerre de conquête qui se veut une guerre de libération malgré la volonté des peuples. Cette mission quasi messianique entre en conflit avec l'impérialisme d'une partie de l'armée et  la volonté d'exploiter l'Asie en prenant la place des Européens.
De ce grand bazar idéologique découlent l'extrême violence de l'armée japonaise en Asie -Chine notamment- persuadée de la sainteté de sa mission, les cas d'officiers japonais horrifiés par la brutalité qui allait contre l'idée d'harmonie des peuples d'Asie (Mamoru Shinozaki à Singapour ou Kenji Ishiwara jugeant négativement l'évolution du Mandchoukouo), l'engagement de soldats indiens dans l'armée japonaise et les promesses d'indépendance diffusées par le Japon.

Or en 1943, la guerre prend un tour défavorable pour le Japon englué en Chine, incapable de déboucher en Inde et fortement fragilisé par la contre-attaque des Etats Unis. La sphère de co-prospérité orientale n'est restée qu'une colonisation déguisée, la domination violente accentue les résistances locales et l'armée japonaise a de moins en moins les moyens de disperser sur toute l'Asie des forces pour maintenir l'ordre. Les fonctionnaires des affaires étrangères décident de tenir à Tokyo une conférence entre les chefs d'Etat de cette sphère pour réaffirmer le rôle libérateur du Japon, le pan-asiatisme et accélérer l'indépendance de plusieurs régions d'Asie condition nécessaire à leur engagement plus massif dans l'effort de guerre japonais contre les Alliés. L'omnipotente armée japonaise accepta la tenue de la conférence très bénéfique pour la propagande mais ne comptait pas accorder de réelle indépendance aux pays sous son contrôle : par exemple   la Malaisie britannique et les Indes orientales néerlandaises furent annexées  tout simplement  à l'empire du Japon le 31 mai 1943 plutôt que d'accorder une indépendance, sur simple décision du quartier général de l'armée. Au maximum cette dernière était disposée à accepter l'installation de gouvernements d'opérette et à offrir un statut de protectorat.
5 participants en plus du Japon assistèrent à la conférence :
  • Zhang Jinghui, Premie ministre du Manchoukouo
  • Wang Jingwei, président du gouvernement national réorganiséde Chine
  • Ba Maw, chef de l'Etat Birman 
  • José P. Laurel, President de la Seconde République des Philippine 
  • Prince Wan Waithayakon, représentant le Royaume de Thaïlande (pays allié et non occupé par le Japon).
En outre le leader indien nationaliste Subhas Chandra Bose participa aux discussions comme observateur au nom du Gouvernement provisoire de l'Inde libre. Les leaders indépendantistes indonésiens Soekarno et Mohammad Hatta furent invités à Tokyo après la conférence. En revanche pour ne pas irriter la république de Vichy alliée de l'Allemagne, aucun représentant vietnamien ni cambodgien ne fut convié.

La conférence déboucha sur la déclaration commune suivante : 

"C'est dans l'espoir d'une paix mondiale que les nations du monde ont chacune leur juste place et espère que l'aide mutuelle et l'assistance leur apportera la prospérité. Les États-Unis d'Amérique et l'empire britannique cherchent à s'enrichir en opprimant d'autres peuples et pays. Tout particulièrement en Asie orientale, ils se livrent à l'agression et à l'exploitation insatiable des ressources, ils cherchent à assouvir leur ambition démesurée d'asservir toute la région, et ils sont devenus une menace sérieuse pour la stabilité de l'Asie orientale. C'est là que réside la cause de cette guerre. Les pays de la grande Asie orientale, avec pour volonté d'établir la paix dans le monde, s'engagent à coopérer pour amener la guerre de la grande Asie orientale à une conclusion positive, libérer la région de la domination américano-britannique, assurer leur existence et leur auto-défense, et à construire une grande Asie orientale conformémant aux principes suivants :

  • Les pays de la grande Asie orientale s'engagent à coopérer mutuellement pour assurer la stabilité de la région et construire un monde de prospérité commune et de bien-être fondé sur la justice.

  • Les pays de la grande Asie orientale assureront la fraternité des peuples de leur région en respectant la souveraineté et l'indépendance des uns et en pratiquant l'assistance mutuelle et l'amitié avec les autres.

  • Les pays de la grande Asie orientale respecteront les traditions de tous et développeront les facultés créatives de chaque race, permettant ainsi d'améliorer la culture et la civilisation de la grande Asie impériale.

  • Les pays de la grande Asie orientale s'efforceront d'accélérer leur développement économique par coopération étroite sur base de la réciprocité et de favoriser la prospérité générale de leur région.

  • Les pays de la grande Asie orientale cultiveront des relations amicales avec tous les pays du monde, et travailleront pour l'abolition de la discrimination des races, la promotion des échanges culturels, et l'ouverture de l'accès aux ressources dans le monde entier, et contribueront ainsi aux progrès de l'humanité."

Propagande manifeste, la conférence marque un infléchissement de la politique japonaise.  L'importance des défaites subies par le Japon obligea le gouvernement Tojo à rechercher l'adhésion des peuples d'Asie, la coopération permettant de libérer des troupes japonaises tout en continuant à exploiter les ressources de ces régions. Dans les faits elle sanctionne l'échec de la stratégie militaire violente. Cependant la toute puissance de l'armée et le discours hypocrite ont limité la portée de la déclaration. On ne note pas d'augmentation de la collaboration au Japon après cette conférence : seuls ceux qui étaient massivement engagés du côté nippon, les Indiens nationalistes notamment,  ont maintenu  voire accentué leur participation. L'impact de cette conférence fut donc modeste sur le déroulement de la guerre. Le Japon en raison de son régime fasciste et de la mainmise de l'armée sur le pouvoir politique ne tenta jamais d'appliquer son programme pan-asiatique. En revanche par sa propagande et ses succès sur les Occidentaux, il stimula les mouvements indépendantistes asiatiques.

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