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Jeju Island 1948 : paradis rouge sang

C'est une des pages sombres de l'histoire coréenne. Alors que le pays sort juste de 30 ans de domination coloniale, le futur demeure incertain. Les Nations Unies ont adopté en novembre 1947 la résolution 112, appelant à une élection générale sous la supervision de la Commission des Nations Unies. Cependant la guerre froide naissante bloque tout scrutin national. L'URSS  organise ainsi son propre vote  dans la partie Nord du pays le 10 mai 1948. Les candidats communistes forts d'une partition forte et gonflée par les soviétique (99 % de votants) remportent plus de 8 voix sur 10. Les Etats-Unis font de même. Cet acte qui scelle la partition de la péninsule a provoqué une réaction en chaîne dans tout le Sud du pays.



L'île de Jeju a une place à part dans la péninsule. Bien que située à  l'extrême Sud, loin de la Corée du Nord, ce sont des militant de gauche qui l'ont libérée. Ainsi alors  que le continent a été impliqué dans des affrontements violents entre communistes et anti-communistes, Cheju est restée pacifique au cours de cette période ( 1945-1946).  La gauche est restée majoritaire dans l'île  - les services de renseignement américains informent Séoul que 60 000 habitants de l'île sont membres du parti soit 1 habitant sur 5 -  tandis que la sécurité était assurée par un bataillon de la 59è armée américaine et des forces de police locale anti-communistes. Cet équilibre fragile a vite volé en éclat. En effet le parti communiste des Travailleurs coréens (la branche méridionale du parti communiste) décide de bloquer et de s'opposer à toute partition de l'île ce qui passe par la dénonciation de tout vote dans la partie Sud. Ainsi il envisage un mouvement général  le 1er mars 1947.  Les manifestations sont désamorcées par une vague d'arrestations dans tout le pays : 2 500 cadres du parti sont mis sous les verrous. Mais pas à Jeju Island.

Rebelles attentant leur exécution
Les habitants nourrissent un fort ressentiment contre les autorités et la police coupables d'avoir trop collaboré (en partie vrai) avec les Japonais et critiquent les  lourdes charges fiscales imposées à l'île. Le 1er mars 1947, malgré le coup de filet de la police contre les milieux communistes, une manifestation commémorant la victoire contre le Japon et dénonçant la tenue d'élection dans le Sud est organisée. La police ouvre le feu et tue 6 personnes. La mécanique de violence se met en marche.  Le 3 avril 1948 un nouveau cortège est pris pour cible, la réponse des insulaires est immédiates. Les habitants attaquent 12 postes de police. Durant les combats, une centaine de policiers et de civils sont tués. Les rebelles brûlent également les centres électoraux pour les scrutins à venir et attaquent des politiciens ainsi que leur famille. Ils émettent également un appel demandant à la population de se soulever contre le gouvernement militaire américain. Le gouvernement de Séoul réagit en envoyant 3000 soldats dont plusieurs centaines rejoignent les rebelles. Le 15 mai, les rebelles tuent 35 policiers et extrémistes de droite. Le 16 mai, la police arrête dans deux villages 169 habitants soupçonnés de soutenir l'insurrection.


Paramilitaires et rebelles
Une petite armée rebelle se constitue (4 000 hommes) mais faiblement armée : moins d'une arme pour 10 combattants. La voie de la négociation incarnée par le lieutenant-général Kim Ik Ruhl, commandant des troupes sud-coréennes sur l'île échoue.  Le gouvernement voulait une reddition complète tandis que les rebelles demandaient le désarmement de la police locale, la démission de tous les fonctionnaires de l'île, l'interdiction des groupes paramilitaires et la réunification de la péninsule. La voie militaire est dès lors suivie. Conseillés par les Américains, 4 bataillons sud-coréens débarquent sur l'île et entament une campagne de contre insurrection coupant les voies de ravitaillement des rebelles concentrées dans les communautés agricoles du centre de l'île. Mal armés les rebelles s'effondrent. Dans un geste désespéré ils adoptent le drapeau de la Corée du Nord espérant une hypothétique aide de leurs camarades du Nord. Dans les communautés libérées, l'armée se livre à des massacres en règle n'épargnant aucun communiste ni civil suspecté de sympathies avec le mouvement. 70 % des villages sont brûlés.  Ainsi, le 17 août 1949, Yi Tuk-Ku l'âme du mouvement sécessionniste est assassiné. Le gouverneur de l'île estime qu'entre 15 000 et 60 000 civils  ont été exécutés, que 40 000 ont fuit au Japon, à Osaka principalement où ils fondent le quartier de Jeju Town. 

L'attitude des Etats-Unis fut ambigue. L'armée américaine n'intervient pas directement, sauf en participant au blocus naval mais elle ne s'opposa pas non plus aux crimes de son allié sud-coréen. La presse américaine relata les événements sans cacher la violence des massacres. L'ambassadeur des Etats Unis en Corée câbla à Washington ce commentaire laconique : les rebelles et leurs sympathisants ont été soit tués,  soit capturées ou convertis.  

Le cycle de violent s'est encore poursuivi sur l'île. En mars 1950, en prévision de la guerre imminente, la Corée du Nord infiltre  des milliers de combattants armés pour ressusciter la guérilla de Jeju et former des maquis révolutionnaires. L'opération est un échec et en quelques semaines les sud-coréens éliminent la menace. Après l'attaque de la Corée du Nord sur le Sud, le 25 juin 1950, les militaires sudistes ordonnent « l'arrestation préventive » des militants de gauche présumés dans tout le pays. Des milliers de personnes ont été arrêtées à Jeju et dans tout le Sud de la Corée et classées en quatre groupes A, B, C et D suivant le risque qu'elles posaient à la sécurité. Le 30 août 1950, au moment où la guerre semble perdue une ordonnance écrite par un officier supérieur du renseignement de la marine sud-coréenne enjoint la police de Jeju d'exécuter les personnes des groupes C et D avant le 6 septembre. 2500 furent éliminées.


La mémoire du massacre fut longue à renaître. En 1948 le gouvernement adopte la loi sur les traîtres à la nation en 1948 qui interdit le parti communiste pendant près de 50 ans et punit de peine de prison toute personne mentionnant les événement de Jeju.  En 1992, le gouvernement du président Roh Tae-woo fit fermer une grotte où avaient été découverts des restes des victimes.  La lente démocratisation du pays conduisit à une réouverture des archives.  En 2003 le President Roh Moo-hyun présenta les excuses du gouvernement pour le massacre. En mars 2009, la commission vérité et réconciliation confirma son rapport disant qu'« au moins 20 000 personnes emprisonnées pour avoir pris part au soulèvement de Jeju, Yeosu et Suncheon  ou accusées d'être communistes ont été massacrées dans 20 prisons du pays ».

Commentaires

  1. Merci pour cette article saisissant sur les horreurs de la guerre civile.

    Mais il y a un lapsus concernant le bataillon de l'US Army qui stationné sur place avant cela dégénére. Il n'y a pas de 59è armée américaine - et la 59e division était une unité fantôme pour leurrer les allemand -.

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