A redécouvrir

critique de Nobody knows

 Lost in Tokyo

Cela commence comme une farce, cela finit en tragédie. Voilà qui résume bien ce petit bijou signé à nouveau de Kore-Eda original sur le fond (histoire vraie) que sur la forme (narration chronologique sans ellipse ni flashback).


Famille nombreuse

Première scène : une femme et son fils sonnent à une porte. C'est la nouvelle locataire qui vient se présenter à son propriétaire et surtout le rassurer sur son fils, un jeune garçon de 12 ans très sage. Scène suivante des déménageurs apportent les affaires à la nouvelle arrivante. Son fils et elle prennent un soin particulier à monter trois valises dont sortent trois autres enfants !! 

S'inspirant de fait réel, le réalisateur met en scène Keiko, mère célibataire plutôt volage qui élève seule ses quatre enfants, Akira, Kyoko, Shigeru et Yuki. Ceux-ci, âgés entre cinq et douze ans, sont issus de quatre pères différents. Tout ce petit monde emménage en cachette dans un appartement plus spacieux (en effet, afin d'avoir le logement, Keiko doit faire croire au propriétaire qu'elle n'a qu'un fils en lui cachant l'existence des trois autres petits). Travaillant beaucoup elle laisse à son aîné Akira et à sa soeur Kyoko le soin d'élever les 2 autres enfants. Tout ce petit monde doit être discret, ne pas sortir sur le balcon, ne pas de faire de bruit. Seul Akira a le droit d'aller dans la rue pour faire les courses et Kyoko peut aller sur le balcon faire tourner la machine à laver.  Un soir leur mère annonce qu'elle va devoir s'absenter et laisse à Akira un peu d'argent pour faire vivre sa famille.

Le temps de l'innocence

Le film se lit d'abord comme un conte. Sur ce fait divers tragique, il tisse une belle histoire d'enfants livrés à eux mêmes et qui se débrouillent. Récupérer de l'eau quand la compagnie coupe le courant, faire les courses, ne pas se faire prendre, se faire passer pour des cousins, tout l'arsenal y passe. Le départ de la mère est vécu ainsi comme une "petite" libération. Les enfants osent braver l'interdit, sortir sur le balcon, puis dans le parc puis dans le kombini (supérette) du coin. 

Ils découvrent un monde fascinant, l'aîné va même jusque devant les grilles d'une école, lieu magique dont la mère les a exclu. Dans cette découverte, ils vont faire des rencontres, des jeunes un peu paumés qui vont les prendre en affection : l'employé harcelé du Kombini, la lycéenne victime de brimades. Avec cette dernière, un nouvelle cellule familiale se construit. Les enfants nés de père différents se résignent à la disparition de cette mère absente. Ils passent leur après midi à jouer, attendent que le temps passe.

Adultes portés disparus

Très vite pourtant le ton s'assombrit. Les adultes en prennent pour leur grade. La mère totalement immature est partie convoler avec son amant. C'est son fils qui compense son manque de raison et on assiste incrédule à cette scène où la mère dit à son fils qu'elle aussi a le droit d'être heureuse. Les pères ne sont pas mieux : chauffeur de taxi, joueur fauché. Incapables, inconscients, ils sont juste bons à donner un peu d'argent à se demander si leur enfant leur ressemble. La mère est partie ? pas grave les enfants sauront se débrouiller.

 Kore-Eda égratigne sévèrement la société. Pas un adulte ne s'inquiète de ces petits qui se baladent crasseux dans la rue, se lave au jardin public et vont quémander des restes de soupe et de sushis dans les restaurants. Un seul, passager furtif est à la hauteur : un entraineur de base ball qui repérant Akira l'invite à participer à l'entraînement et lui apprend à jouer, figure paternelle fugace. De même les autres enfants (la lycéenne mise à part) qui viennent profiter des jeux vidéos dans cet appartement de la liberté et qui s'évanouissent tout de suite après. Et pourtant le réalisateur ne juge pas, n'alourdit pas son propos d'analyse sociologique mais laisse se  sensibilité de l'artiste prendre le dessus. C'est un film sur l'enfance,  l'âge de l'optimisme et de l'espoir. Ici l'espoir d'une renaissance autour d'une figure d'adulte : la lycéenne, le professeur de base ball. 

Le film prend dans son dernier tiers un ton rappelant le tombeau des lucioles de Takahata. Le jeu s'épuise, les enfants vacillent et le drame inévitable frappe la petite cadette. Sans spoiler la fin, le réalisateur maintient ce subtile équilibre entre peur, absence et espoir. Car c'est un film d'espoir. L'enjeu n'est pas de comprendre pour qui la mère est partie mais comment font ses petits pour tenir et rester unis. Et à l'histoire réelle tragique, il offre une fin lumineuse, pas lénifiante mais centrée sur l'enfance et l'enterrement de son innocence.

Rarement un film m'aura autant bouleversé. A la fin de ces 2h 20, ce n'est pas la colère qui l'emporte mais l'admiration devant l'enfance, sa simplicité, son authenticité et son courage.

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