C'est un des pires massacres du XXè siècle oublié de beaucoup. Entre septembre 1965 et l'été 1966, l'Indonésie fut le théâtre d'une répression sanglante des militants communistes. Une purge à l'échelle d'un archipel qui au bas mot provoqua entre 500 000 et 1 million de morts. Un massacre innommable sur fond de guerre froide où services secrets occidentaux pour ne pas dire la CIA ont joué une partition macabre.
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Indonésiens entraînés par les Japonais |
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Troupes britanniques |
Ex colonie néerlandaise, l'Indonésie est conquise par le Japon en 1942. Oscillant entre répression et conciliation, les militaires japonais soutiennent les mouvement nationalistes et indépendantistes dont celui de Soekarno. Deux jours après la capitulation du Japon, les nationalistes indonésiens déclarent l'indépendance de l'île rejettée aussitôt par les anciennes puissances coloniales. Elles s'engagent dans une guerre de contre insurrection pendant quatre années. Britanniques et néerlandais déploient des forces importantes (jusqu'à 100 000 hommes) et mènent une sanglante guerre symbolisée par la Mer de feu Bandung, la destruction délibérée par les indépendantistes du Sud de la ville de Bandung. Pourtant face à l'échec patent et la force du mouvement d'indépendance, les néerlandais abandonnent la partie et reconnaissent l'indépendance de l'archipel en décembre 1949. Soekarno en devient le premier président.
L'indépendance ouvre une période d'instabilité. Des mouvements rebelles se développent sur les îles indonésiennes. Une république communiste est proclamée à Madiun, à l'est de Yogyakarta, un Etat Islamique est créé au Java Occidental. Dans les deux cas l'armée républicaine les écrase dans le sang. Mais le jeune Etat se retrouve pris entre le grand jeu de la guerre froide : classé comme anti-communiste par l'URSS, il ne peut choisir le camp américain à cause des nombreux différends territoriaux avec les Pays Bas. Signe de sa faiblesse, un coup d'Etat militaire orchestré par le général Nasution est désarmorcé de justesse le 17 octobre 1952.
Le président Soekarno pour maintenir le fragile équilibre politique entame une double stratégie. A l'extérieur il se range du côté du Tiers Monde et organise en 1955 à Bandung la fameuse conférence où émerge la notion de non alignement. A l'intérieur il construit une démocratie guidée partant du constat que la démocratie de style occidental était inapproprié pour la situation de l'Indonésie. Il cherche un concordat basé sur le système
traditionnel de village de discussion et de consensus
sous la direction des anciens du village. Pour obtenir l'équilibre il construit un fragile équilibre entre le nasionalisme ('nationalisme'), agama («religion»), et komunisme («communisme») synthétisé dans le " Nas-A-Kom" gouvernement.
Il était destiné à apaiser les trois principales factions dans la
politique indonésienne - l'armée, les groupes islamiques, et les
communistes. Cette politique clairement anti-américaine déplaît aux Etats Unis qui en sous main soutiennent plusieurs mouvements de rébellion au sein de l'armée et au sein des musulmans intégristes inquiets de l'influence du PKI (parti communiste indonésien) dont la progression est fulgurante ( è plus grand partie communiste du monde, 300 000 membres, 2 millions de sympathisants). Tout le début des années 1960 est marqué par cette tension croissante entre une partie de l'armée, le PKI et le pouvoir. En 1964 lors de la conférence du Caire Soekarno déclare ainsi " que son objectif actuel était de conduire l'ensemble de la
politique indonésienne vers la gauche et ainsi de neutraliser les éléments
«réactionnaires» de l'armée qui pourraient être dangereux pour la
révolution". A l'intérieur la situation économique se dégrade, inflation, crise alimentaire, corruption de l'armée et pénurie alimentaire (un scénario rappelant le Chili de 1973....). Signe de la grande méfiance du président , il crée la 5è force, une troupe spéciale chargée de protéger le président et équipée par la Chine.
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intervention de l'armée |
Ce sont les communistes d'après la version officielle qui vont faire le premier pas et déclencher la répression sanglante. Le 30 septembre une troupe de soldats menée par des officiers de la garde présidentielles enlève et assassine 6 généraux suspectés de préparer un coup d'Etat. Seul le général Nasution échappe par miracle (mais pas sa fille de 5 ans) aux balles. Le lieutenant-colonel Oentoeng de la garde présidentielle annonce le 1er octobre que le " mouvement du 30 septembre" (en indonésien Gerakan September Tigapuluh) a pris les armes contre un groupe de généraux putschistes et qu'un conseil de la révolution va assurer l'autorité suprême. Mais les évènement s'enchaînent : le président refuse de suivre les rebelles tandis que le général Suharto prend la tête de l'armée et dénonce le groupe du 30 septembre comme un groupe du conspirateurs (qu'il va nommer gestapu en utilisant les initiales de leur nom) voulant renverser le gouvernement.
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Suharto lors des funérailles des généraux assassinés |
En 48 heures les meneurs sont arrêtés. Les funérailles des 6 généraux, le 5 octobre, sont l'occasion d'accuser publiquement le PKI d'être derrière le coup d'Etat et de lancer une habile et violente campagne de presse qui débouche sur la répression. D'abord au sein de l'armée, puis du parlement avant de s'étendre à toutes les strates de la société, la purge prend de l'ampleur. L'armée puis des milices soutenues par elles commettent des crimes qui s'étendent à tout l'archipel et principalement dans les zones fortement traversées par le courant communiste (Sumatra, Bali et Java). Les réactions occidentales sont très positives :
- Time Magazine titre : la meilleur nouvelle pour le camp occidental en Asie
- Us news et world report : indonésie, l'espoir là où il n'y en eut jamais
Seul Robert Kennedy condamna les crimes et les massacres les comparant aux pires actions staliniennes et nazies. Pour l'Indonésie, le virage à gauche s'est arrêté net. Soekarno est contraint en 1966 a signé le Supersemar, l'ordonnance du 11 mars par laquelle il transmet les pouvoir à Suharto élu l'année suivant président, poste qu'il occupera jusqu'en 1998, les émeutes de Jakarta le forcèrent alors à quitter le pouvoir.
La chute du dictateur a été l'occasion d'ouverture d'archives qui ont éclairé les causes du "coup d'Etat". D'une part la CIA a donné un coup de main à la répression en fournissant une liste de 5 000 militants communistes à éliminer. D'autre part la facile reprise en main par Suharto et l'incompétence des putschistes ont jeté un doute sur les ressorts du mouvement du 30 septembre. Or des témoignages révèlent que le jour de l'attaque un des officiers du 30 septembre, colonel Latief a rencontré Suharto pour lui assurer que les rebelles visaient à protéger Soekarno contre un coup d'Etat militaire et pour lui demander d'informer le président de leur soutien. De même les archives américaines révèlent que la CIA avait de concert avec des généraux indonésiens imaginé un scénario de coup d'Etat qui serait attribué aux PKI permettant ainsi de le supprimer. Autre fait troublant : le Lieutenant-Colonel Untung, Colonel Latief, le Brigadier-General Supardjo le Colonel Suherman et le Major Usman à la tête du groupe du 30 septembre ont tous été sous les ordres de Suharto. Tous ont devant le tribunal qui les condamna à mort 1967 affirmé qu'ils n'étaient pas membre du PKI et qu'ils avaient agi selon leur propre chef . De ce fait trois scénarios se dessinent:
- l'assassinat des 6 généraux est un coup monté par la CIA manipulant des officiers idéalistes (séduisant mais peu probable)
- la provocation : dans un plan typique de la stratégie de la tension, la CIA et la frange extrémiste font croitre les oppositions, rumeurs pour amener le camp adverse à commettre un faux pas (style coup d'Etat en Iran, Grèce ou les attentats à la bombe en Italie des années 60-80). Séduisant mais comme les officiers n'étaient pas communistes l'hypothèse s'écroule.
- l'affaire interne à l'armée : il y a une réelle opposition entre les officiers subalternes et leurs supérieurs corrompus. L'action vise à éliminer un groupe de caciques pour faire de la place. Ceci expliquerait pourquoi Suharto ne fut pas visé et la rapide reprise en main. L'action étant connue, la contre-insurrection fut rapide et permit ensuite d'accuser à tort le PKI.
C'est cette troisième qui semble la bonne. Les massacres sont un page sombre de l'Indonésie et encore aujourd'hui ils n'ont pas leur place dans les manuels d'histoire indonésiens.
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