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le fugitif à Sendai

Le Fugitif à Sendai


Une petite pépite du cinéma nippon qui a fait grand bruit lors de sa sortie. Golden Slumber de Yoshihiro Nakamura est un film à tiroir, course poursuite, thriller, comédie, galerie de portraits. Le succès critique et commercial fut tel qu'il eut droit en 2018, 8 ans après sa sortie à un remake sud-coréen.

Une étrange invitation

 Le point de départ est étonnant : Aoyagi  livreur à domicile se vantant d'avoir sauvé une "idol" d'un cambrioleur mal attentionné, reçoit un beau jour une invitation de la part de Morita, un vieil ami de la fac, pour aller pêcher. Relativement enthousiaste à l'idée de retrouver son ami, Aoyagi ne se doute pas encore des jours infernaux qui vont suivre ce rendez-vous. 

En effet le 1er ministre japonais en visite à Sendai est victime d'un attentat à la bombe au moment même où Morita annonce à son ami qu'il devient le principal suspect de l'attaque avant de se suicider. Le calvaire commence. Survivre, faire confiance, trouver le vrai commanditaire, tel est le nouveau quotidien de notre héros qui doit apprend très vite au risqe d'être broyé par la machination.


Rupture de ton

Ce qui frappe d'entrée dans ce film c'est le ton volontairement tragi-comique. Ainsi le suspect passe une bonne partie du film habillé en pêcheur à éviter les hommes qui le traquent. Dans sa fuite il rencontre une galaxie de personnage haut en couleur : le jeune skater désoeuvré et à ses heures tueur en série, des personnages âgées encore en forme, d'anciens collègues rockers ou des spécialistes en feux d'artifice. Les personnages "secondaires" forment la première surprise du film : attachant, follement drôle, intéressant. Chaque rencontre est l'occasion d'une nouvelle surprise. 

Le film se construit un peu comme un film à sketchs réussissant à conserver la trame narrative principale tout en accordant à chaque petit histoire un vrai développement. C'est en même temps un vrai hommage comique au thriller style fugitif : de l'attentat à la fusillade dans le restaurant jusqu'au dénouement fantastique, tout est présent avec ce talent rare de maintenir une distance presque ironique avec son sujet. Jamais complètement parodique, jamais complètement sérieux.


Un film qui ose tout et qui réussit tout

Le film est aussi très poétique. C'est l'autre grande surprise que de voir de pur moment de bonheur s'insérer dans la course poursuite. Les feux d'artifice jouent un rôle essentiel narratif mais surtout esthétique. De même l'immersion dans les quartiers populaires de la métropole - HLM, petits pavillons, friche - permet aux réalisateurs de peindre de jolis tableaux humains sans tomber dans la pure contemplation. Il faut ici à nouveau souligner l'excellente tenue des acteurs. Très touchants, très humbles et très nobles en même temps, ils offrent à notre fugitif un arrière plan où le temps semble d'arrêter où la réalité semble choisir une voie parallèle. Les acteurs sont des valeurs sûres du cinéma japonais, beaucoup de seconds rôles toujours excellemment employés.

Le film est aussi une oeuvre engagée. Derrière l'humour se cache un double tableau de la société japonaise. D'abord politique. Le 1er ministre assassiné est issu des rangs de l'opposition et derrière les visages des conspirateurs se lit très clairement l'ombre des groupes de droite/conservateurs japonais qui ont contrôlé le pays depuis 1945. Nous plongeons dès lors dans les pages sombres de l'histoire japonaise récente où mafia, corruption et népotisme ont permis une quasi confiscation du jeu démocratique. On ne peut aussi s'empêcher de retrouver dans le film une réécriture de l'attentat de Dallas : une parade, un innocent, des preuves qui l'accablent. Le film ensuite offre un message très critique à l'encontre de la religion de l'image et de leur pouvoir réciproque. Entre les films truqués pour faire accuser Aoyagi, les vidéos sur portable empêchant ceux qui le traquent de l'abattre, nous sommes dans la dictature du paraître.

Golden Slumber fait partie de ces films asiatiques qui avec un budget réduit nous offre des expériences cinématographiques et intellectuelles rares. Non distribué en France, il ne vous reste qu'à acheter le DVD en import et à le suivre en sous titre anglais... 




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