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la mémoire partagée : city of life and death

La mémoire partagée

Il y eu La Liste de Schindler qui en une scène (l'enfant faisant le signe de se trancher la gorge aux juifs enfermés dans le train) mettait fin à tous débats sur les Allemands et leurs complices  qui ne savaient rien des camps, qui en 3 heures de film renvoyaient les négationnistes dans l'ombre de l'ignorance dont ils n'auraient jamais dû sortir.  Il y a aussi désormais City of life and death, film chinois en 2009 sur le massacre de Nankin. Il mérite d'être comparé au film de Spielberg et il est peut être même supérieur non sur la forme mais sur le courage intellectuel.


city of life and death



 Le massacre de Nankin est un moment crucial de l'histoire chinoise et japonaise moderne : la prise de la ville, son sac, les viols, massacres effectués sur les prisonniers et les civils de la ville de la région. Elle symbolise la violence exercée par l'armée impériale sur la Chine. Elle symbolise aussi les difficultés de l'Asie à faire son travail de mémoire. Ce sont en effet des journalistes et historiens japonais qui au cours des année 1970 ont révélé l'ampleur du drame. Pas des Chinois car Nankin était en zone nationaliste et non communiste et donc l'Etat maoïste l'avait banni de la mémoire officielle de la guerre contre le Japon. Depuis Nankin est le centre de polémiques récurrentes : la moins grave concerne le nombre de victimes (entre 115 000 pour les historiens japonais à 300 000 pour les chinois, la vérité se situant aux alentours de 150 000 minimum), plus grave  l'existence de quelques négationnistes au Japon qui sont régulièrement battus en brèche par les historiens japonais, plus sensible la question du prince Asaka présent à Nankin et non jugé après guerre et enfin la question des excuses officielles du Japon qui rejaillit à chaque affaire Yasukuni. C'est dans ce lourd contexte intellectuel de nationaliste renaissant qu'est sorti ce film dont on pouvait craindre le parti pris.

Crainte fausse car le fils est brillant. Le réalisateur Lu Shan a choisi de suivre non pas le point de vue d'un chinois mais d'un jeune soldat japonais. Il s'est basé sur les carnets intimes des soldats japonais. Son but est de casser l'image stéréotypé donné par les films chinois habituels : le japonais est un monstre.  Il pose et répond en partie à cette question : comment des être humains peuvent ainsi perdre toute maîtrise et humanisme. Le film fonctionne car il est très historique sans être pesant. Il montre bien le fonctionnement de l'armée japonaise, la violence interne, l'obéissance aveugle à un empereur tutélaire et invisible, le rôle des officiers qui sont le garant de la discipline ou de son manque ainsi que la déshumanisation de l'ennemi. Le réalisateur ne passe aucun passage sous silence : viols, massacre de prisonniers, la mise à sac de la ville, le comportement des officiers entraînant leur soldat. Il offre même son explication à ce déchaînement de violence : culture guerrière japonaise méprisant le vaincu mais surtout rupture de la discipline orchestré par les officiers. Et dans ce maëlstrom le rôle de Kadokawa, le jeune soldat, est formidablement écrit et interprété. Coupable, il doit vivre avec cette sensation qui l'enveloppe, le submerge jusqu'à l'inévitable. Il faut ajouter que de nombreux acteurs japonais ont accepté de jouer, tous excellents en particulier celui qui joue l'officier de Kadokawa, son double déformé. L'intensité de leur jeu, leur larme ne sont pas que cinéma : tous sont sortis marqués par ce tournage. D'ailleurs dans ce film d'une tristesse absolue, la fin est magique porteuse d'espoir. Le réalisateur a choisi de faire un film pour les jeunes générations, un témoignage, un trait d'union entre les jeunes génération. 

La réalisation est somptueuse, tout en noir et blanc. La photographie rend hommage à la fois à ce que fut Nankin et à l'apocalypse qui a frappé la capitale nationaliste. Le réalisateur nous offre des plans séquences qui feront date : prise de la ville, la scène de l'Eglise. Le meilleur est la danse de la victoire de l'armée japonaise dans la ville en ruine : scène prodigieuse par le décalage. D'un côté la ville ou ce qui l'en reste, d'un autre les prisonniers chinois derrière les barbelés, au fond les officiers japonais et au milieu la lente procession extatique. Cérémonie funèbre, spectacle macabre renforcé par la transe qui s'empare à la fin les danseurs, le tout au son des tambours traditionnels.



L'émotion, la peine, la colère tout se mêle mais avec cette intelligence de ne pas tomber dans le rejet de l'autre. A nouveau la scène finale est d'une justesse incroyable, courageuse même. C'est pourquoi à sa sortie des critiques très dures ont été faites au film qui offrait un visage trop humain aux japonais. Le réalisateur reçut même des menaces de mort signe qu'il avait réussi son pari. Faire sens et intelligence et non tomber dans le stéréotype nationaliste simpliste.

Dire que j'ai apprécié le film serait en de-çà de la vérité. C'est un chef d'oeuvre dans le style, dans le propos et dans l'engagement. Il est juste regrettable qu'une telle oeuvre ait été si mal distribuée en France.

Commentaires

  1. complétement d'accord avec toi et on ne sort pas indemne du film

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  2. oui, très beau film et très intelligent. Le metteur en scène Lu Chuan a eu bien du mal à le mettre sur pied et a été vivement attaqué en Chine par les ligues anti-japonaises, pour le choix de son point de vue. Curieusement ce sont les plus hautes autorités du PCC qui lui ont donné le feu vert... mais c'était à une période où les diplomaties des deux pays se cherchaient. Pas sûr que le film aurait été autorisé ne serait-ce que trois ans plus tard.

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  3. Ca me fait penser à la sinistre farce qui a eu lieu au procès de Tokyo. Pour épargner les vrais coupables (dans la famille impériale par exemple) les américains ont fait pendre le général Matsui. Un comble quand on sait qu'il était gravement malade et absent quand les massacres ont commencé, qu'il a vite pris conscience de la situation, qu'il a été le seul officier de haut-rang à donner des ordres stricts pour que cessent les atrocités, qu'il a été aussi le seul à exprimer sa honte et sa désolation pour ce qui s'était passé.

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