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Le Jeu de la mort : supercherie éhontée ou grandiose manipulation

Supercherie éhontée ou grandiose manipulation

Dans la  filmographie du regretté Bruce Lee, il y a un film auquel est accolé toujours un point d'interrogation  : Le Jeu de la Mort. Oeuvre à part entière ou avatar honteux dans la veine de la Bruceploitation ? retour sur un objet très rare du cinéma



Projet Originel

1972 : Bruce Lee est au sommet de la gloire. Big Boss, la Fureur de vaincre et la fureur du dragon l'ont installé au sommet du box office. Cette même année il mène deux projets. La Warner l'engage pour tourner dans Opération Dragon superproduction hollywoodienne qui allait caracoler au box office. Dans le même temps il se lance dans un projet de film ambitieux à Hong Kong  : le jeu de la mort.
Il y incarne Hai Tien, un champion d'art martiaux invaincu et en retraite, approché par la mafia coréenne pour prendre part à une descente sur une pagode de 5 étages censée détenir un trésor au dernier étage. Après son refus de participer, sa sœur et son jeune frère sont enlevés, ce qui l'oblige à participer à l'opération. Lors d'un briefing à la maison du patron mafieux, Hai Tien rencontre ses 4 complices futurs, qui sont tous des experts chevronnés en arts martiaux. Le patron montre un film de reconnaissance de la zone du temple, expliquant aux complices que les armes à feu étant interdites dans le village, la pagode est gardée par des mercenaires des arts martiaux. Il y en a un par étage. Leur consigne est de progresser jusqu'en haut de la pagode en se battant pour récupérer le trésor.
Ce film est plus qu'un simple film d'arts martiaux : c'est une confrontation physique philosophique entre les différents styles martiaux. Il n'y a qu'à voir les 5 acteurs choisis pour défendre les 5 étage de la pagode
  • Wang In Sik : expert en taekwondo et Aikido
  • Taky Kimura : expert en wing chun et jeet kune do (il fut élève et ami de Bruce Lee)
  • Dan Inosanto : expert en Kali escrime, penchak et silat et jeet kune do (il fut aussi élève et ami de Bruce Lee)
  • Ji Han Jae : le fondateur de l'Hapkido
  • Kareem Abdul-Jabar : 2m20, pivot légendaire des Los Angeles Lakers et pratiquant de Jeet kune d
L'ambition de Bruce Lee était à nouveau de démontrer la puissance de son jeet kune do, art martial nouveau mélange de toutes les traditions et débarrassé du folklore et des préjugés inhérents à chaque art.
 De ce projet 100 minutes furent filmés et 40 montées.

Disparition et remontage

20 juillet 1973, Bruce Lee décède brutalement. Officiellement d'une réaction allergique à un analgésique, en réalité d'une rupture d'anévrisme à cause de la drogue que Bruce Lee consommait pour l'aider à tenir la cadence infernale de sa vie entre tournage, entraînement. Son décès alimentera très vite la rumeur d'un assassinat par la mafia avant que très tardivement les révélations sur la drogue ne les fassent taire. Le projet semble mort. Mais en 1978 Raymond Chow le producteur sort sur les écrans le Jeu de la Mort avec sur l'affiche le nom de Bruce Lee, le vrai, et non un des nombreux clones grotesques de la brucepolitation. Comment a-t-il réussi ce miracle de réaliser un film sans son acteur principal ?

Le film sorti en 1978 présente un scénario complètement différent :
Billy Lo (Bruce Lee , star mondiale du cinéma, refuse de travailler pour un syndicat du crime de Hong Kong dirigé par le sinistre Dr Land. Ce dernier décide alors de faire supprimer Billy par le tueur de l'organisation, Stick. Au cours du tournage d'un film par Billy Lo (une scène de la Fureur de vaincre), le tueur agit. Billy est atteint d'une balle en plein visage qui le laisse pour mort. En fait, il est toujours en vie et doit subir une opération de chirurgie esthétique qui change son apparence physique (il porte une épaisse barbe). Billy profite alors de sa « métamorphose » et du fait que le syndicat du crime le croit mort pour se venger. De la trame originelle, Chow et Robert Clouse conservent la place de la mafia. Est-ce un hasard mais ce scénario à l'époque a pris une résonance toute particulière alors qu'enflaient les rumeurs de meurtres orchestrés par la mafia.
Pour le film les producteurs ont fait preuve de talent. Kim Tai Chung est choisi pour être la doublure de Bruce Lee dans les nouvelles scènes tournées.


 Il n'a qu'une faible ressemblance alors toute l'astuce consiste à le coiffer comme Bruce Lee, le montrer de profil, avec des lunettes de soleil. Le scénario de la vengeance permet aussi de le montrer déguisés (fausse barbe, fausse moustache, casque de moto). 
Pour la partie combat, le fossé est grand. Kim Tai Chung se limite à des coups simples, quelques cris. Il est surtout lui même doublé et la rumeur évoque une certain Yuen Biao.... Quelques incrustations (malheureuses et retirées de la version française) du visage de Bruce Lee devait renforcer l'aspect réel. 



Surtout les producteurs vont se servir à fond des images existantes du vrai Bruce. La scène de sa mort est tirée de la fin de la fureur de vaincre : l'assassin opère sur le plateau où  Bruce est entrain de tourner. Les funérailles de Bruce sont montées à partir des vraies images des funérailles de Bruce Lee ce qui fera hurler certains cinéphiles sur le manque de scrupule de l'équipe du film. Le combat final contre les gardes du corps du syndicat reprend les scènes tournées par Bruce : les combats contre Dan Inosanto, Kareem Abdul Jabar et Jin Han Jae. Ont été éliminées toutes les images où traînent les alliés de Bruce du film d'origine ou presque. Car à regarder de plus près il y a trace de ce passage en force au niveau de l'affrontement avec Karrem Abdul Jabbar.
  • lorsque Bruce arrive à cet étage on voit le corps d'un de ces alliés
  • pour le vaincre Bruce utiliser le point faible du géant : la photosensibilité. Or la scène de 1978 se déroule de nuit

Le film prend alors un ton étonnant. Oeuvre de fiction certes, mais l'omniprésence de scènes tirées de l'oeuvre de Bruce Lee fait planer un doute comme s'il s'agissait d'une biographie rêvée de la star.

Postérité

Le film n'a depuis cessé de diviser la communauté. A sa sortie c'est un succès même si à Hong Kong on pointe du doigt deux des critiques régulièrement et logiquement apportées : l'utilisation des images des funérailles et les incrustations maladroites du visage de Bruce Lee. Si l'on compare le film de 1978 avec les 40 mn du film d'origine on ne peut que critiquer le remontage. Dans le film d'origine, les scènes d'actions alternent avec la comédie, les combats sont accompagnés d'une lutte intellectuelle et spirituel. Et si l'on regarde celles tournées avec la doublure, il y a un abîme !!!

Pourtant enterrer le film de 1978 serait trop facile. D'abord parce qu'en terme de mise en scène le film est bon même supérieur aux autres films hongkongais de Bruce Lee. La musique est  de très bonne facture. De plus les seconds rôles sont joués par d'excellents acteurs en particulier les différents membres du syndicats. Enfin il faut prendre ce film comme un hommage à Bruce Lee, une réinterprétation. Notons que nombreux sont les acteurs/amis qui se sont joints au projet de 1978 : Sammo Hung, Bob Wall (présent dans la fureur du dragon et opération dragon). On ne peut croire qu'ils auraient tous accepté de participer au projet sans un minimum de garantie sur la non atteinte à l'intégrité du personnage de Bruce Lee.
N'oublions pas surtout que ce film a fait entrer Bruce Lee encore plus dans la légende : son costume jaune devenant un objet de la pop culture régulièrement cité par les plus grands réalisateurs -comme Tarantino dans Kill Bill-.



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