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critique du film Admiral Yamamoto

Chef de guerre malgré lui

Il est difficile de trouver pendant le second conflit mondial une figure militaire de l'armée  impériale japonaise qui ne soit pas pas entachée de crimes de guerre. Clint Eastwood avait trouvé à travers le baron Takeichi Nishi et Tadamichi Kuribayashi, les défenseurs d'Iwo Jima deux généraux rompant avec l'image du fanatisme criminel de l'armée de terre japonaise. Cependant aucun n'a ni l'aura ni l'originalité de l'amiral Yamamoto. Tacticien, stratège admiré de tous, même de ses ennemis, visionnaire, américanophile, réticent à l'idée de s'allier à l'Allemagne et à attaquer l'Amérique, il est une figure unique dans le paysage militaire du Japon des années sombres. 



Un film à haute d'homme

Le cinéma s'est très vite  emparé du personnage : le premier film sur le personnage date de 1953  avec Denijiro Okochi dans le rôle titre ; en 1968 un autre biopic japonais lui était consacré, le Grand Toshiro Mifune prêtant ses traits à l'amiral ; en 1970 Sô Yamamura reprend le rôle dans le film américain Tora Tora Tora, et Toshiro Mifune l'incarne à nouveau dans la méga production hollywoodienne La Bataille de Midway 1976.  En 2011 une nouvelle biographie filmée du personnage est sortie sur les écrans japonais et peut être un jour en dvd en France. Quel bilan ?

C'est Koji Yakusho, acteur reconnu au Japon (13 assassins, l'Anguille)  et internationalement (Babel, Mémoire de Geisha) qui interprète le rôle titre. Disons le d'entrée le film est réussi et frôle même le Grand film. La première qualité c'est de se centrer sur les personnages, de les humaniser. La vie de cet amiral nous est présentée dans tous ses aspects : la lutte politique, la relation avec ses soldats, sa vie de famille et son regard presque désabusé sur l'inéluctable désastre à venir. Le film n'est pas un apologie de l'homme, ses erreurs sont pointées du doigt (Pearl Harbor), son entêtement à vouloir visiter les soldats sur le front qui le conduit à la mort. Il montre le vide intellectuel que laisse sa disparition. 


Il s'attarde aussi sur le conflit interne de cet homme qui n'aime pas la guerre : la scène d'introduction du film est très forte là dessus ; qui est très proche de l'Amérique et qui est conscient de l'impossibilité d'une guerre victorieuse mais qui est fidèle à son empereur, à son pays et à son devoir de soldat. Tout son parcours le conduit une fois la guerre inévitable à la rendre la plus courte possible : une frappe majeure. Et ce qui est intéressant c'est de voir comment l'homme en apparence se persuade de la validité de son projet alors que dans son fors intérieur la défaite est déjà inscrite. Loin d'un film de guerre, c'est avant tout un film de famille : les scènes en l'amiral et ses enfants sont magnifiques, entre l'amiral et ses soldats sont touchantes (la l'annonce de la mort du jeune pilote est jouée avec une retenue, une justesse merveilleuse).  Homme d'honneur, l'amiral le reste jusque dans la mort, serrant son sabre alors que l'avion s'écrase.

Au coeur de l'âge sombre du Japon

L'autre qualité du film c'est la peinture du Japon des années 1930. Pour le néophyte, le réalisateur décrit en quelques scènes la guerre interne entre marine/armée de terre, entre démocrate/militariste, les pro et anti nazis. On découvre alors l'ampleur du désordre interne, les tentatives de coups d'Etat, les luttes entre clans, la valse des 1ers ministres les trahisons entre groupe militaire (à qui obéissait Nagumo, l'amiral ou son ministre) qui conduisent à l'échec de Pearl Harbor et au désastre de Midway.  Lentement se met en place la marche vers le précipice que constitue le choix du camp allemand. Le réalisateur souligne très bien l'attitude des quelques marins visionnaires qui ont tout fait pour persuader l'empereur de rester loin de l'Allemagne.


Dans ce tableau du Japon, les personnages des journalistes apportent un vrai plus. Ils illustrent toute la mécanique dictatoriale, la rétention d'informations, la propagande qui bercent d'illusion la population. Les 2 personnages centraux : le journaliste et le rédacteur (très bien joués) montrent le conflit intellectuel qui animent ces personnages. 
La narration est excellente, chronologique, lente. Les principales batailles du Pacifique sont retracées.  La fin est très forte symboliquement  : de la ruine de Tokyo au retournement démocratique du Japon. Seuls le feu et la cendre pouvaient débarrasser le Japon de ces démons fasciste.

Acteurs, narration, histoire tous les ingrédients pour un grand film de guerre. Paradoxalement c'est dans l'aspect guerre que le film "déçoit". On sent que ce n'était pas la priorité du réalisateur : les scènes de bataille sont correctes mais loin de la puissance d'un Pearl Harbor, les effets numériques auraient mérité d'être plus soignés. 

Au final le film est très bon, une vraie plongée dans la vie du plus étonnant des amiraux japonais. Comme dans beaucoup de productions japonaises, l'intelligence de l'histoire, le scénario priment sur l'artifice ce qui en fait un film fort, sensible à  qui il manque un souffle de spectaculaire.

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