Alexandre Dumas écrivait que l’on
peut trahir l’histoire à condition de lui faire de beaux enfants. Je ne sais
pas si Si-myung Lee avait en tête cette citation lorsqu’il s’est
lancé dans ce projet d’uchronie mais le résultat final est étonnant à défaut d’être
pleinement réussi.
Dans 2009 lost memories, blockbuster sud-coréen, un soin tout particulier a été apporté au scénario. Dans un futur alternatif, le Japon s’est rangé du côté américain et a gagné la seconde guerre mondiale. Berlin est entrée dans l’histoire comme la première ville atomisée. Séoul est ainsi devenue en 2009 la troisième ville du Japon et les indépendantistes coréens sont des groupuscules terroristes traqués par la police japonaise. Ce basculement historique est intervenu en 1909 lors de l’échec de l’assassinat du Régent japonais pour la Corée Hirobumi Ito.
Des personnages forts
Sur cette trame,
le film montrel’enquête de deux agents
du JBI (FBI japonaise) sur un groupe terroriste indépendantiste, Hureisenjin,
dont les attaques, dénuées de logique se concentrent contre une entreprise
japonaise influente sur le marché de l’art. La narration profite d’abord de la
relation entre les 2 hommes, l’un japonais, l’autre coréen, qui partagent le même
sens du devoir. Ils sont gardiens de l’ordre et fiers du modèle japonais.
Malgré leur origine différente leur amitié est forte.
De plus
l’écriture des personnages est
excellente car leur passé va les
contraindre à un choix : maintenir l’illusion ou remettre l’histoire dans
son vrai chemin. D’un côté on apprend que le père du coréen était un policier
qui a perdu son poste pour avoir collaboré avec ces terroristes. C’est cette
relation père-fils qui l’a conduit à s’engager dans la police pour laver l’honneur
de sa famille. Il a en quelque sorte tué son père pour avancer et se retrouve
face à un dilemme : continuer sur la voie tracée ou réécrire son histoire
autour du père pardonné. Son collègue japonais fait face au même démon car si
son sens du devoir l’incite à dévoiler la manipulation, l’amour pour sa femme
dont la famille est originaire d’Hiroshima le pousse dans une voie contraire.
Le passé recomposé
Il faut aussi noter le grand
écart permanent entre film d’action/thriller politique et film de science-fiction
basé sur le voyage dans le temps. La scène d’introduction est à ce point
importante car elle brosse dans un long plan séquence toute la nouvelle
histoire du Japon-Corée en se servant d’images historiques modifiées. L’histoire
sert ainsi plus que d’arrière-plan. Pour le spectateur c’est une visite autour
des évènements possibles : le choix de l’attentat de 1909 est intéressant
comme point de divergence historique. Du côté Science-fiction, la narration tient
la route sans erreurs : l’effet papillon est exploité complètement. Et les effets spéciaux sont réussis. Les scènes où l’attentat contre le régent est « revécu »
sont excellentes. De la scène « historique aux scènes modifiées, l’incrustation
de nouveaux acteurs passent bien à l’écran et ajoutent à l’enjeu dramatique.
Les autres scènes d’action
restent efficaces, très marquées Hollywood et Hong Kong. Le réalisateur a
encore quelques difficultés à s’extraire de l’effet Michael Bay/John Woo.
Résultats des gunfights qui sont parfois un peu « too much » dans un
film qui se veut aussi très sérieux.
Un film qui ne va pas au bout de ses intentions
Coup d’essai coup de maître ?
Malheureusement non. Le film ne tient
pas toutes ses promesses pour plusieurs raisons. D’abord il reste un
divertissement tout public et le discours nationaliste est encore trop présent
sur la fin du film. Ainsi le réalisateur ne va au bout de son raisonnement :
et si ce présent était meilleur que l’ancien ? On aurait aimé voir le policier coréen en
plein cas de conscience : maintenir une Corée englobée dans le Japon ou
accepter une Corée partagée en eux.
Or le film passe très vite sur le regard
critique sur le présent véritable. S’il y a doute c’est du côté japonais jamais
du côté coréen. Hiroshima pèse dans la balance, jamais la guerre de Corée ou la
Corée du Nord. Ensuite le film manque aussi d’approfondissement historique.
Il n’explicite pas assez l’impact de l’attentat de Harbin sur le Japon et le
courant militariste. Et de là il ne nous montre pas assez comment s’est
construit ce nouveau Japon, comment se règle la question de la double culture. Il y a enfin un aspect dérangeant. La
glorification des terroristes est faite sans nuances. Attentats aveugles semblent aller de soi.
Juger 2009 lost memories amène donc à un constat ambigu. Dans l’univers
mondial des films spectaculaires, il fait partie du haut du panier :
ambitieux, intelligent, audacieux avec un vrai scénario. Nous sommes à des
années lumières des productions Hollywoodienne. Dans le paysage coréen le film
laisse un goût d’inachevé : il y a tout pour faire un grand film engagé,
pertinent, provocateur. Le réalisateur a choisi de rester au milieu du gué :
un solide film d’action qui n’ose pas franchir le pas de la réconciliation
nippo-coréenne. Trop tôt peut être ?
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