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L'opération Ichi-Go : le Japon déclenche la foudre et Mao remporte la mise

Le Haut Commandement japonais a fait preuve pendant la seconde guerre mondiale d'une direction chaotique de la guerre. L'absence d'une stratégie claire a été la cause de sa défaite. Son incapacité à choisir entre l'expansion en Chine et l'extension dans le Pacifique, la multiplication des fronts, l'absence de priorité stratégique ont conduit à un écartèlement et une dispersion de ses forces. Que l'on prenne une carte et on trouve des opérations contre l'Australie, contre Pearl Harbor, vers l'Inde, l'Alaska via les Aléoutiennes et au coeur de la Chine. Si l'on rajoute l'occupation terrible imposée aux peuples libérés, nous avons un bilan clair d'une course en avant où l'impératif tactique l'emporte sur les buts stratégiques. Une opération cependant contraste avec cette conduite maladroite de la guerre : l'opération Ichi-Go ou opération numéro 1.

L'année 1943 est celle des choix. Et l'Etat Major nippon a décidé d'en faire en changeant radicalement son orientation. La priorité ce n'est plus le Pacifique où se développe la contre-offensive américaine mais la Chine, ce gouffre qui détourne plus de 2 millions de soldats japonais. L'offensive qui doit se déclencher dans le Sud de la Chine répond à plusieurs objectifs. D'abord économique. En effet la flotte marchande nipponne commençe à être ravagée par l’arme sous-marine américaine. L'hémorragie est terrible pas loin d'être mortelle. De 6 millions de tonnes en 1941, la flotte marchande est tombé à 5 millions puis 3 millions en 1944. Des pertes que ne compense plus la construction navale. Alors pour assurer la liaison avec leur possession du Sud-Est, plus question d'emprunter la mer mais le continent en connectant les chemins de fer coréens, chinois et indochinois. Pour ouvrir ce vaste corridor terrestre il faut dont chasser les nationalistes chinois des côtes méridionales de la Chine. Ensuite il y a la menace représenté par le 14th Air force, ce groupe aérien commandé par le Major-Général Chennault et qui prend pour cible le trafic maritime et Formose depuis les bases du Sud de la Chine en zone nationaliste. Pour les Japonais il faut détruire ces bases qui sont en passe d'accueillir les futurs bombardiers américains à long rayon d'action. Ensuite il y a l'armée nationaliste qui si elle s'est retranchée et ne mène pas d'opérations offensives demeure encore solide. L'armée de Birmanie et de Chine doivent mener conjointement une offensive pour affaiblir durablement les Chinois. Il y a enfin l'Inde. L'opération Ichi-Go se déroule en parallèle des offensives Ha Go et et U-Go qui visent pour la première la destruction des forces britanniques engagés en Birmanie et pour la seconde une attaque dans le Nord-Est de l'Inde visant la vallée du Brahmapoutre qui permettrait de couper tout le ravitaillement terrestre et aérien vers la Chine et de provoquer la révolte en Inde. A ce titre des forces de l'armée nationale de l'Inde soutiennent les troupes japonaises. I-Chi Go et les opérations associées ne visent rien de moins que mettre Chiang Kaï Chek hors de combat et de détacher l'Inde de l'orbite britannique. Plan ambitieux, intelligent mais qui a un défaut : il intervient deux ans trop tard. Véritable chant du cygne de l'armée japonaise qui va pourtant donner une éclatante démonstration de sa force.

Le Haut commandement a concentré des moyens importants. 600 000 hommes 100 000 chevaux, 15 000 véhicules, 1 500 pièces d'artillerie 800 tanks et assez de munition pour durer 2 ans. Seul désavantage l'aviation : 240 avions contre 535 chasseurs et 156 bombardiers côté sino-américain. Mais la rapidité, la grandeur du terrain d'opération vont vite annuler l'avantage des alliés. L'offensive n'est pas une surprise pour Chiang. Pourtant sa violence va encore faire vaciller sa position.

 I Chi Go se développe en deux phases d'une guerre de mouvement à outrance coordonnée. La première de celles-ci, l'offensive Keikan, ou Kogo, débuta au milieu du mois d'avril avec pour objectif de dégager l'axe ferroviaire reliant Pékin à Hankou. Les Japonais lancèrent une attaque en tenaille à partir des deux extrémités d'un gigantesque saillant épousant en grande partie les cours du fleuve jaune et du Yang Tsé et correspondant à la 1ère zone de guerre chinoise. Pourtant sur le terrain les Chinois sont 5 à 6 fois plus nombreux que les japonais. L'extrême mobilité et rapidité des troupes japonaises, l'esprit offensif inculqué à outrance donnèrent leur pleine mesure. La première pince était représentée par une brigade indépendante de la 11e armée alors que la seconde, beaucoup plus puissante, incluait cinq divisions, trois brigades indépendantes et une division blindée appartenant pour la plupart à la 12e armée, dépendant de l’armée de la zone du Nord de la Chine. Les blindés japonais effectuèrent des rocades terribles sur toute la profondeur du dispositif chinois. La 3e division blindée par exemple joua un rôle majeur dans le succès de Kogo, menant une chevauchée blindée au de 1 400 kilomètres et parvint à tomber sur les arrières de l'ennemi à plusieurs reprises. Kogo s'acheva à la fin du mois de mai par un succès après la capture de la ville de Luoyang le 25 mai 1944 et du tronçon de la voie de chemin de fer convoité. Mais le courage des défenseurs de Luoyang permit à de nombreuses troupes d'échapper à l'encerclement.
Se déclenche alors la seconde phase appelée Togo. L'opération est une marche vers le Sud en direction de la frontière indochinoise en pleine zone nationaliste sur près de 1 000 kms avec des risques importants d'attaque sur les flancs. 250 000 japonais face 400 000 chinois, l'élite des forces de Chiang. Ce sont les 10 divisions de la 11è armée japonaise qui ont l'honneur de mener l'attaque. Celle-ci entre dans la province du Hunan en progressant sur trois axes et encercle la ville de Changsha, défendue par la 4e armée nationaliste, le 8 juin et la prend au bout de 10 jours. Les troupes japonaises poursuivirent ensuite leur progression en direction de Hengyang, qui constituait un objectif vital dans la mesure où cette ville était un important carrefour ferroviaire d’où se rejoignaient les lignes vers Hong-Kong, Pékin et Liuchow. Malgré de féroces attaques contre ses flancs, la 11e armée atteignit la périphérie de cette cité le 23 juin. Hors, la Commission des affaires militaires, l'organe suprême des armées du parti nationaliste présidé par Tchang Kaï-chek lui-même, décida de livrer une bataille décisive à cet endroit. La défense de Hengyang elle-même fut confiée à la 10è armée alors que 13 autres armées se concentrèrent sur ses flancs, tandis que l'aviation sino-américaine intervenait en force sur le champ de bataille. Pour réaliser cette concentration, la 9è zone de guerre reçut des renforts en provenance des 3è et 6è zones de guerre. Malgré de violentes attaques, ces unités ne parvinrent pas à desserrer l'étau autour de Hengyang, qui tomba le 8 août après 47 jours de combats acharnés. Les troupes nationalistes lancèrent de vaines contre-attaques jusqu'à la fin du mois d'août avant que le généralissime ne leur ordonne de passer sur la défensive et de protéger la province du Guangxi. 

Dès le début du mois de septembre, l'armée nippone se lança enfin dans les 2ème et 3ème phases de Togo, qui se prolongèrent jusqu'au mois de janvier 1945. La 11e armée poursuivit son avance en suivant la voie ferrée Hengyang-Liuzhou jusqu'à la ville de Liuzhou, au cœur de la province du Guangxi, où elle fit sa jonction avec les deux divisions et les deux brigades de la 23e armée partie de Canton. Enfin, les troupes japonaises s'emparèrent ensuite de la ligne ferroviaire reliant Canton à Hengyang tout en avançant en direction de Nanning, qu'ils capturèrent le 24 décembre 1944 tandis que la 21e armée passait à son tour à l’attaque depuis la frontière indochinoise. Deux mois plus tard, l'ensemble des objectifs d'Ichi-Go étaient atteints avec la mise hors d'état de nuire d'un chapelet d'aérodromes ennemis et la création d'un corridor terrestre ininterrompu entre le Nord de l'Indochine et la Corée.

Tactiquement l'opération est un indéniable succès pour l'armée japonaise qui a infligé des pertes trois à quatre fois supérieures à son adversaire. La voie ferrée est ouverte et sécurisée. Mais la destruction des bases aériennes est contrebalancée par la conquête dans le Pacifique des îles Mariannes d'où pourront s'envoler les bombardiers visant le Japon. De plus la voie ferrée ne peut pas pallier la quasi interruption du trafic maritime eu égard aux distances, aux sabotages et attaque aériennes. De même la portée stratégique est amoindrie par l'échec des opérations en direction de l'Inde et le non-basculement du joyau de la couronne dans la révolte. Cette victoire accentue de fait l'écartèlement de l'armée japonaise obligée d'occuper une portion encore plus large du territoire chinois. Et elle renforce paradoxalement la position des communistes chinois. En concentrant leurs forces au Sud, les Japonais ont réduit leur pression au Nord, dans les campagnes où les partisans de Mao ont pu de nouveau se ravitailler et recruter. En frappant durement Chiang, ils l'ont privé de troupes excellentes qui lui feront défaut quand leur du règlement de compte avec Mao aura sonné.

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