Simplement magique
Il y a des films
que l’on ne voit pas venir et qui vous revienne au visage comme un crochet de
Mike Tyson. Hana et Alice de Shunji Iwai en fait
partie. Comment croire que cette histoire d’amourette entre deux ados de
16 ans donnerait matière à l’un des plus beaux films japonais ? Il faut avouer
que ce thème usé jusqu’à la corde a donné des productions américaines et même
européennes pitoyables. Donc je n’attendais rien d’une telle histoire. C’était
oublier le talent des réalisateurs japonais (et asiatiques) pour transcender un
genre.
Esthétisme et actrice grandiose
Hana et Alice c’est d’abord un film beau au sens
esthétique. Le réalisateur ponctue son récit de moments extatiques. Un
jeu de cartes s’envole au bord de la plage et c’est tout ce jeu de l’amour et
du hasard qui reverdit. Un festival de théâtre, une fête traditionnelle
explosent de couleurs, de chants. La célèbre scène de séduction au pied d’un
arbre est filmée tout en retenu et en sentiment. Plus forte et improbable est la scène de casting où les idols
défilent comme dans un kaléidoscope et qui débouche sur une séquence venue de
nulle part.
Alice jouée par Yu Aoi (la merveilleuse, le diamant) décide
d’effectuer devant les photographies ébahis une démonstration de danse
classique sur des chaussons improvisés. Un instant de grâce filmé complètement
et qui semble duré éternellement. Le travail de Shunji Iwai s’apparente au peintre qui couche après couche
dévoile son tableau. C’est le premier
point fort du film : la qualité, le soin technique où l’on reconnait la
marque du grand réalisateur. Qui profite également d’une très belle bande son,
élégante et raffinée loin des standards passe partout des productions
occidentales du même genre.
Une histoire faussement légère
L’histoire est à
l’image des œuvres japonaises : complexe derrière la simplicité du
postulat. Hana et Alice sont deux amis d’enfance, tiraillées par les doutes et
les questionnements de leur âge. Alice est espiègle, Hana une romantique. Alice
en pince pour le jeune Masashi
récemment célibataire mais qui l’ignore. Celui-ci doux rêveur se cogne la tête
dans la rue et perd momentanément la mémoire. Les deux complices décident de
profiter de l’aubaine et lui font croire qu’il était le petit ami d’Hana. Bien
sûr les choses vont se compliquer, les deux amies deviendront rivales,
l’amnésique se révèle plus malin que le laisse paraître sa rêverie. Cette
première trame est traitée comme une comédie légère avec un zest de cruauté
quand le jeune amnésique multiplie les consultations chez les neurologues pour
comprendre pourquoi il ne se rappelle pas de cette fille sensée être sa petite
amie. Comédie où tel est pris qui croyait prendre. Alice la fidèle amie et
complice se prend les pieds dans les filets de l’amour tandis qu’Hanna découvre
qu’il est dur de trafiquer la mémoire tandis que le jeune homme finit par se
prendre au jeu et pousse les filles jusqu’aux limites de leur histoire (voir la
scène de la place et du restaurant).
C’est très drôle, toujours finement joué.
Les acteurs et actrices sont exceptionnels. Les superlatifs ne suffiraient pas
pour les trois rôles principaux : maîtrise, sensibilité, délicatesse. On
sent une alchimie parfaite entre la direction d’acteurs et les moments
d’improvisation (danse, théâtres). Il ne faut pas oublier les extraordinaires
seconds rôles avec en tête le chef du club de théâtre, trublion décalé
n’hésitant pas à pousser au maximum les limites de son art. Ce qui rend cette
histoire si forte, c’est qu’elle s’enchaîne avec des intrigues secondaires et
essentielles pour la narration. Le réalisateur scande son récit de moments
étonnants, décalés et qui éclairent son propos. On pense à la scène de casting où jeunes ambitieuses,
femme mûre et jeune ingénue se disputent les lumières sous le regard de
photographes à la limite du grivois. De quoi égratigner la profession. On pense
aussi à la scène finale extrêmement drôle.
Derrière la
comédie se cache pourtant une histoire plus grave : la relation entre Alice
et son père. Elle si espiègle, si joviale, volubile se découvre incapable de
dialoguer avec lui. Des scènes déchirantes qui culminent avec le « wo ai
ni » « je t’aime en
chinois » prononcé par la jeune fille alors que le métro démarre et que
son père reste sur le quai. Une des plus belles scènes de l’histoire du cinéma
et je pèse mes mots.
Dire que j’ai
aimé ce film est faible. Il fait partie de mes films culte que je pourrai
revoir à l’infini. Alchimie improbable, histoire belle et profonde, Hana et
Alice prouve que l’on peut encore parler de choses simples sans faire dans le
naïf.
Commentaires
Enregistrer un commentaire